
Dans l’imaginaire collectif, le Moyen Âge évoque spontanément les chevaliers, l’amour courtois, les troubadours et les châteaux forts. Si cette vision reste partielle et quelque peu idéalisée, il n’en demeure pas moins que l’amour courtois constitue un motif littéraire majeur de cette époque, ayant largement contribué au développement de la poésie.
Partons maintenant à la rencontre de Cercamon, troubadour du XIIᵉ siècle. Les troubadours étaient des compositeurs, poètes et musiciens, qui interprétaient eux-mêmes leurs œuvres ou les faisaient chanter par d’autres. Ils s’exprimaient en langue d’oc (occitan), tandis que leurs homologues du nord, appelés trouvères, composaient en langue d’oïl. Cercamon serait né vers 1110-1115 et aurait composé entre 1135 et 1152. La date exacte de sa mort demeure inconnue, mais on suppose qu’elle survint dans les années 1150. Il figure parmi les premiers auteurs de chansons d’amour, aux côtés de Guillaume IX d’Aquitaine (1071-1126) et de Jaufré Rudel (1130-1170). Son pseudonyme, Cercamon, peut se traduire par « Cherche-Monde », reflétant son désir d’errance et de découverte.
D’après la Vie poétique de Cercamon, il était un jongleur originaire de Gascogne, animé du désir de parcourir le monde, ce qui expliquerait son surnom.
Je vous propose ici de découvrir les différents types de poèmes et chansons qu’il a composés, accompagnés de quelques extraits en langue originale et en traduction. Mais pour approfondir cette découverte, rien ne remplace le plaisir de lire l’ouvrage qu’Yves Leclair lui a consacré (cf. ici).
Tout comme la chanson contemporaine offre des registres variés (chansons d’amour, engagées, enfantines…), les textes de Cercamon relèvent de plusieurs genres bien distincts :
Le planh
Il s’agit d’une complainte funèbre, chantée sur une mélodie grave et solennelle. À ne pas confondre avec le planctus latin médiéval, qui en est indépendant.
Un exemple célèbre est celui qu’il composa à la mort de Guillaume X d’Aquitaine en avril 1137 :
Lo plaing comenz iradamen
D’un vers don hai lo cor dolen ;
Ir’e dolor e marrimen
Ai car vei abaissar Joven :
Malvesatz puej’e Jois dissen
Depois muric lo Peitavis
Traduction en français moderne :
Je la commence en douleur, ma complainte,
Avec un vers qui rend le cœur chagrin.
Tristesse, deuil et tourment me saisissent
Quand je vois la jeunesse décliner.
La méchanceté croît, et la Joie,
Depuis que le Poitevin est mort, s’efface.
Cette chanson rend hommage au défunt, à l’image de nos actuelles chansons commémoratives.
La tenson
C’est une joute verbale et poétique, un débat en vers entre troubadours, qui porte sur des sujets religieux, politiques, littéraires, amoureux ou personnels. Cercamon a été l’un des premiers à en composer.
La fin’amor
Il s’agit de chansons d’amour courtois, où dominent des thèmes récurrents : l’alternance entre joie et tristesse, la soumission à un amour absolu, l’éloge de la dame idéalisée.
Per fin’amor m’esjauzira,
Tant quant fai chaut ni s’esfrezis ;
Toz tems serai vas lei aclis,
Mas non puosc saber enqera
Si poirai ab joi remaner,
O.m voldra per seu retener
Cella cui mos cors dezira.
Traduction :
Par vrai amour, je serai en joie,
Qu’il fasse chaud, qu’il fasse froid ;
Toujours soumis, je resterai
Mais je ne sais encore
Si je pourrai rester joyeux
Si pour sien voudra me garder
Celle que mon cœur désire.
La canso de lonh
La chanson de loin célèbre un amour inaccessible, souvent lointain géographiquement. Jaufré Rudel, troubadour contemporain de Cercamon, en est le représentant le plus célèbre : amoureux de la comtesse de Tripoli qu’il n’avait jamais vue, il composa pour elle des vers exaltant une beauté idéalisée, rapportée par des voyageurs.
Le sirventes
Enfin, le sirventes est une chanson engagée ou polémique, souvent d’ordre politique ou moral. Ce genre s’est développé dans un contexte marqué par les conflits et les croisades, notamment celle de 1147 à laquelle participèrent Louis VII et Aliénor d’Aquitaine. Cercamon s’est lui aussi essayé à ce registre.
Conclusion
Cercamon apparaît comme l’une des figures fondatrices de la lyrique occitane. Par la variété de ses registres, il témoigne de la richesse et de la diversité de la culture troubadouresque au XIIᵉ siècle. Ses textes, parfois graves, parfois légers, composent une véritable mosaïque poétique où se mêlent amour courtois, satire et engagement. En cela, il annonce déjà toute la complexité de la littérature médiévale, bien éloignée des clichés réducteurs.


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