La tolérance chez John Locke

La tolérance chez John Locke
  1. Introduction
  2. Qu’est-ce que la tolérance chez John Locke ?
  3. Le rôle de l’Eglise et de l’Etat dans la conception de la tolérance de Locke
  4. Les limites de la tolérance chez Locke : les sectes et l’athéisme
  5. La tolérance des autres religions chez Locke
  6. Sources

Introduction

John Locke (1632-1704) fait partie des auteurs précurseurs des Lumières mais, comme le précise Jean-Fabien Spitz dans l’introduction à la Lettre sur la tolérance et autres textes, il ne faut pas chercher chez lui une vision de la tolérance comme un « socle à une justification plus large de la liberté de pensée comme l’un des droits fondamentaux de la personne humaine » (Spitz, 2007, p. 12). En fait, la conception de la tolérance chez Locke s’inscrit dans un cadre spécifique : celui de la tolérance dans un monde où Etat et Eglise (ou Eglises) coexistent. Chez Locke, par exemple, l’athéisme est par exemple intolérable. Alors en quoi les apports de Locke peuvent-ils nous éclairer sur ce qu’est la tolérance ?

Qu’est-ce que la tolérance chez John Locke ?

Marc Parmentier, dans le vocabulaire de Locke, définit d’abord la tolérance par rapport à la thèse que défend J. Locke dans sa Lettre sur la tolérance (1686). De manière synthétique, il s’agit du « pouvoir d’un gouvernement civil, se bornant aux intérêts matériels des sujets, il ne peut légiférer ni intervenir par la force dans les questions religieuses, qu’il s’agisse des articles de foi ou de culte extérieur » (Parmentier, 2016, pp. 64-65). En résumé, pour Locke, le pouvoir civil s’occupe de la dimension temporelle tandis que les institutions religieuses (l’Eglise ou les Eglises) s’occupent des dimensions spirituelles et n’ont pas à interférer les unes avec les autres. Le salut des âmes relève de la dimension spirituelle tandis que l’intérêt civil relève du magistrat civil. Dans la Lettre sur la tolérance, Locke écrit par exemple que le législateur peut légiférer sur l’hygiène mais pas sur le culte.

Le rôle de l’Eglise et de l’Etat dans la conception de la tolérance de Locke

Dans la Lettre sur la tolérance, Locke donne une définition précise de l’Etat et des intérêts civils :

L’Etat, selon mes idées, est une société d’hommes instituée dans la seule vue de l’établissement, de la conservation et de l’avancement de leurs INTERÊTS CIVILS.

J’appelle « intérêts civils », la vie, la liberté, la santé du corps ; la possession des biens extérieurs, tels que sont l’argent, les terres, les maisons, les meubles, et autres choses de cette nature (Locke, 2007, p. 168)

Le « magistrat civil » est le garant de l’Etat et de sa stabilité, par la mise en place de lois équitables qui garantissent la paix et la stabilité, au risque d’un retour à l’état de nature. La force de la thèse de Locke est de montrer ici que l’Etat se distingue de l’Eglise – nous y reviendrons – puisque le magistrat s’occupe des affaires temporelles et uniquement elles. La sphère spirituelle relève de l’Eglise. Locke est on ne peut plus clair lorsqu’il écrit page 169 :

Le soin des âmes ne saurait appartenir au magistrat civil, parce que son pouvoir est borné à la force extérieure. Mais la vraie religion consiste (…) dans la persuasion intérieure de l’esprit, sans laquelle il est impossible de plaire à Dieu.

Locke s’inscrit ici dans un contexte historique où l’Eglise a un rôle important et il en propose une définition précise :

J’entends (par Eglise) une société d’hommes, qui se joignent volontairement ensemble pour servir Dieu en public, et lui rendre le culte qu’ils jugent lui être agréable, et propre à leur faire obtenir le salut (Id, p. 171).

Le terme important est celui de « volontaire » : rejoindre l’Eglise relève d’une décision individuelle puisque personne ne naît d’une Eglise contrairement à l’appartenance à un Etat. Locke procède à une analogie en expliquant que la foi que les parents transmettent à leurs enfants ne peut être comparable à la détention de terres (qui elle, relève de la juridiction civile).

La tolérance repose donc, dans la Lettre sur la tolérance, sur les arguments suivants :

– Ni l’Etat, ni l’Eglise, n’ont le droit d’imposer leurs croyances aux individus puisqu’ils outrepassent leurs bornes : temporelle d’un côté et spirituelle de l’autre. L’Etat peut imposer la loi par la contrainte à partir du moment où les individus mettent en péril l’intérêt civil, en revanche, il ne peut pas agir sur la sphère spirituelle. A l’inverse, l’Eglise n’a pas le droit d’imposer des sanctions relatives aux biens temporels : elle peut, en revanche, procéder à des sanctions relevant du spirituel (excommunication par exemple).
– Les deux sphères n’ont pas la puissance d’imposer une croyance définie puisqu’il s’agit d’une affaire de conscience.

La force de l’argumentation de Locke repose donc sur la séparation du pouvoir civil et du pouvoir ecclésiastique. Mais on pourrait lui objecter qu’une personne lambda pourrait faire primer sa conscience sur l’obéissance aux lois civiles : Locke explique qu’un tel exemple reviendrait à faire s’écrouler le pouvoir civil et donc de mettre un terme à la liberté des individus – cf. la définition qu’il en donne -. La conscience est donc libre, à partir du moment où elle ne se transforme pas en désobéissance civile.

La liberté de culte est garantie à partir du moment où elle ne met pas en question le pouvoir civil. C’est ainsi que dans l’Essai sur la tolérance, publié en 1667 (soit presque vingt ans avant la Lettre sur la tolérance), Locke écrit ce texte resté célèbre :

Le fait de s’agenouiller ou de demeurer assis au moment du sacrement ne tend pas plus à troubler le gouvernement ou à nuire à mes voisins que le fait d’être assis ou debout devant ma propre table. Le port d’une chape ou d’un surplis ne peut pas plus mettre en danger ou menacer la paix de l’Etat que le port d’un manteau ou d’un habit sur la place du marché (Id, p. 110).

Il y a cependant deux limites à la tolérance dans la philosophie de Locke.

Les limites de la tolérance chez Locke : les sectes et l’athéisme

Si Locke prône la tolérance par la séparation entre l’Eglise et l’Etat, nous sommes tout de même loin de la liberté de conscience individuelle que l’on connaît aujourd’hui. Il écrit notamment à propos de l’athéisme :

Enfin, ceux qui nient l’existence d’un Dieu, ne doivent pas être tolérés, parce que les promesses, les contrats, les serments et la bonne foi, qui sont les principaux liens de la société civile, ne sauraient engager un athée à tenir sa parole ; et que si l’on bannit du monde la croyance d’une divinité, on ne peut qu’introduire aussitôt le désordre et la confusion générale « D’ailleurs, ceux qui professent l’athéisme n’ont aucun droit à la tolérance sur le chapitre de la religion, puisque leur système les renverse toutes (Id, p. 206).

Autrement dit, les athées sont une source de désordre social et, en ne croyant en aucun Dieu, ils remettent en cause la stabilité de l’Etat.

Pour Locke, il convient également de ne pas tolérer les conventicules : il s’agit d’assemblées qui se séparent de l’Eglise d’Angleterre : elles posaient notamment comme problème le refus de payer certains impôts puisqu’elles partaient du principe que celles-ci servaient à payer l’Eglise d’Angleterre à laquelle elles n’étaient pas affiliées (p. 210). Autre exemple cité par Locke : « les pépinières des factions et des révoltes » (p. 207) : en un mot, il s’agit de groupes qui prônent l’intolérance. Ces différents exemples ne peuvent être tolérés puisqu’ils sortent du cadre de l’Eglise et remettent en question le pouvoir civil. Pour Locke, c’est donc l’obéissance à la loi naturelle, et donc la croyance en Dieu, [qui] peuvent garantir « les promesses, les contrats, les serments et la bonne foi, qui sont les principaux liens de la société civile » (Parmentier, 2016, p. 66).

La tolérance des autres religions chez Locke

C’est un point assez curieux par rapport à ce qui précède, mais la tolérance s’applique aux religions autres que l’Eglise d’Angleterre. En effet :

Si l’on permet aux uns de célébrer des assemblées solennelles et certains jours de fête, de prêcher en public et d’observer d’autres cérémonies religieuses, on ne peut refuser la même liberté aux presbytériens, aux indépendants aux arminiens, aux quakers, aux anabaptistes et autres ; et même, pour dire franchement la vérité, comme les hommes se la doivent les uns aux autres, l’on ne doit exclure des droits de la société civile ni les païens, ni les mahométans, ni les Juifs, à cause de la religion qu’ils professent (pp. 211-212)

En fait, exclure ces autres religions de la société civile reviendrait à la mettre en péril. Or, contrairement aux séditieux qui sont hors la loi, ces différentes religions payent la dîme et participent au commerce et à la vie publique. Il serait donc dangereux de les interdire, d’autant plus que « Ce n’est pas la diversité des opinions, qu’on ne saurait éviter, mais le refus de la tolérance qu’on pourrait accorder, qui a été la source de toutes les guerres et de tous les démêlés qu’il y a eu parmi les chrétiens, sur le fait de la religion » (p. 212). Autrement dit, dans la mesure où les croyants de ces religions n’ont aucune mauvaise intention, il serait paradoxal de ne pas les tolérer.

Sources

Locke J. Essai sur la tolérance (1667) in Lettres sur la tolérance et autres textes, Paris, GF Flammarion, 2007, pp. 103-139

Locke J. Lettre sur la tolérance (1686) in Lettres sur la tolérance et autres textes, 2007, Paris, GF Flammarion, pp. 161-219

Spitz J-F, Introduction in Lettres sur la tolérance et autres textes, Paris, GF Flammarion, pp. 7-99

Parmentier M. Le vocabulaire de Locke, Paris, Ellipses, 2016

2 réponses à « La tolérance chez John Locke »

  1. […] Locke, nous l’avons vu ailleurs, refuse la tolérance aux athées sous prétexte qu’ils remettraient en cause la stabilité […]

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  2. […] dans les années 1665-1670, alors que l’Essai sur l’entendement humain (1689) ou la Lettre sur la tolérance germaient probablement dans son […]

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