
- Introduction
- Démocratie, liberté et égalité
- La tyrannie de la majorité
- Le despotisme démocratique
- Sources
Introduction
Lorsque Tocqueville arrive en Amérique, il observe et s’intéresse à la démocratie, terme qu’il ne définit jamais clairement comme le précise Raymond Aron (1967). La démocratie est alors naissante en Amérique depuis l’indépendance et c’est un champ nouveau que veut analyser Tocqueville par rapport à la situation française. Pour lui, la démocratie libérale est possible à partir de trois sortes de causes :
« – La situation accidentelle et particulière dans laquelle se trouvait la société américaine
– Les lois
– Les habitudes et les mœurs » (Aron, 1967, p. 229).
La situation accidentelle renvoie au mélange de populations immigrantes arrivant d’Europe sur le sol américain ; les lois renvoient – pour résumer – à la Constitution américaine et les habitudes et les mœurs concernent la religion.
Démocratie, liberté et égalité
De manière générale, la démocratie réside dans « l’égalité des conditions (…) fait générateur dont chaque fait particulier semblait descendre » (Tocqueville, 1981, p. 57). L’égalité des conditions permise par l’Amérique (« le rêve américain » en langage moderne) est à la fois la cause de la démocratie et son but : Tocqueville parle aussi de « souveraineté du peuple ». Dans tous les cas, l’égalisation des conditions/égalité des conditions permet l’ascension sociale de n’importe qui, quelle que soit son origine sociale. Il est cependant impossible d’en décrire les causes et les effets même si, comme nous l’avons vu, Raymond Aron a tenté de le faire en présentant la pensée de Tocqueville.
La tyrannie de la majorité
La démocratie, en Amérique, réalise l’égalité dans la liberté – deux concepts centraux chez Tocqueville -. Le système des jurys en est un exemple et montre aux citoyens qu’ils ont besoins les uns des autres. Chacun a une conscience profonde d’être égal à un autre et a donc le droit et le devoir de juger et d’être jugé à son tour. L’égalité des conditions aboutit donc à l’égalité légale. Le système des jurys est garant de la justice et de l’égalité. Il constitue même un symbole de la démocratie selon Tocqueville. Néanmoins, la démocratie contient un premier risque : celui de la tyrannie de la majorité, c’est-à-dire qu’en laissant la majorité s’exprimer, les minorités n’ont plus de droit d’expression. Tocqueville l’illustre à travers l’exemple des Indiens :
Les Espagnols lâchent leurs chiens sur les Indiens comme sur des bêtes farouches. Ils pillent le Nouveau Monde ainsi qu’une ville prise d’assaut, sans discernement et sans pitié. Mais on ne peut tout détruire, la fureur a un terme. Le reste des populations indiennes échappées au massacre finit par se mêler à ses vainqueurs et par adopter leur religion et leurs mœurs. La conduite des Etats-Unis envers les Indiens respire au contraire le plus pur amour des formes et de la légalité. Pourvu que les Indiens demeurent à l’état sauvage, les Américains ne se mêlent nullement de leurs affaires et les traitent en peuple indépendant. Ils ne se permettent point d’occuper leurs terres sans les avoir dûment acquises au moyen d’un contrat, et si par hasard une nation indienne ne peut plus vivre sur son territoire, ils la prennent fraternellement par la main et la conduisent eux-mêmes mourir hors du pays de ses pères (…) Les Américains des Etats-Unis ont atteint ce double résultat avec une merveilleuse facilité, tranquillement, légalement, philantropiquement, sans répandre de sang, sans violer un seul des grands principes de la morale aux yeux du monde. On ne saurait détruire les hommes en respectant mieux les lois de l’humanité (cité par Aron, p. 239).
Dans cet exemple, les Indiens qui se seraient intégrés aux Américains représentent une minorité. Le droit fondé sur la majorité n’est pas garante de la mise en place de l’oppression ou de la tyrannie. La majorité n’a pas toujours raison et il peut toujours y avoir une domination des uns sur les autres. Tocqueville insiste donc sur l’instruction et les jurys doivent être surveillés par un corps de juges, instruits et formés pour cela. On retrouve ici une forme d’aristocratie à laquelle Tocqueville appartient de par sa généalogie. Ce système est en fait un genre de garde-fou de la démocratie.
Aux côtés de la tyrannie de la majorité, Tocqueville pointe un autre risque à la démocratie : celui du despotisme démocratique.
Le despotisme démocratique
Il s’agit du risque selon lequel les individus se désintéressent de la chose publique pour se concentrer sur leurs intérêts individuels au risque d’une tyrannie qui s’imposerait à eux :
Je veux imaginer sous quels traits nouveaux le despotisme pourrait se produire dans le monde: je vois une foule innombrable d’hommes semblables et égaux qui tournent sans repos sur eux-mêmes pour se procurer de petits et vulgaires plaisirs, dont ils emplissent leur âme. Chacun d’eux, retiré à l’écart, est comme étranger à la destinée de tous les autres: ses enfants et ses amis particuliers forment pour lui toute l’espèce humaine; quant au demeurant de ses concitoyens, il est à côté d’eux, mais il ne les voit pas; il les touche et ne les sent point; il n’existe qu’en lui-même et pour lui seul, et, s’il lui reste encore une famille, on peut dire du moins qu’il n’a plus de patrie.
Au-dessus de ceux-là s’élève un pouvoir immense et tutélaire, qui se charge seul d’assurer leur jouissance et de veiller sut leur sort. il est absolu, détaillé, régulier, prévoyant et doux. Il ressemblerait à la puissance paternelle si, comme elle, il avait pour objet de préparer les hommes à l’âge viril; mais il ne cherche, au contraire, qu’à les fixer irrévocablement dans l’enfance; il aime que les citoyens se réjouissent, pourvu qu’ils ne songent qu’à se réjouir. Il travaille volontiers à leur bonheur; mais il veut en être l’unique agent et le seul arbitre; il pourvoit à leur sécurité, prévoit et assure leurs besoins, facilite leurs plaisirs, conduit leurs. principales affaires, dirige leur industrie, règle leurs successions, divise leurs héritages, que ne peut-il leur ôter entièrement le trouble de penser et la peine de vivre ?
C’est ainsi que tous les jours il rend moins utile et plus rare l’emploi du libre arbitre; qu’il renferme l’action de la volonté dans un plus petit espace, et dérobe peu à peu à chaque citoyen jusqu’à l’usage de lui-même. L’égalité a préparé les hommes à toutes ces choses : elle les a disposés à les souffrir et souvent même à les regarder comme un bienfait (De la Démocratie en Amérique, Livre II, Chapitre IV, parag. VI (en ligne)
Les deux risques à la démocratie sont donc : la tyrannie de la majorité et le despotisme de la majorité. Pour pallier ces risques, Tocqueville prône la décentralisation des pouvoirs. Il s’agit d’institutions facilitant l’autorégulation du corps social telles que les associations ou les jurys comme nous venons de le voir. L’égalisation est le produit d’une société centralisée, mais elle ne saurait se suffire à elle-même sans corps intermédiaires.
Sources
Tocqueville A. De la démocratie en Amérique I (En ligne)
Tocqueville A. De la démocratie en Amérique II (En ligne)
Aron R. Les étapes de la pensée sociologique, Paris, Gallimard, 1967
Bessone M., La justice, Paris, GF, 2000


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