
- Introduction
- La définition de la domination donnée par Weber
- Les trois types de domination légitime
- La routinisation du charisme
- La bureaucratie : le type pur de la domination légale
- Sources :
Introduction
Avertissement : La notion de « domination » est centrale en sociologie et a traversé son histoire. Ici, nous nous concentrons uniquement sur la typologie qu’en propose Max Weber dans Economie et société. Pour des approches plus exhaustives et théoriques sur la domination, vous pouvez regarder l’article de Danilo Martuccelli consacré à ce sujet (Martuccelli, 2004).
Conformément à son approche de la société en termes de rationalisation que nous avons présenté ailleurs (ici) et à l’aide de la méthode des idéaux-types (cf. ici), Max Weber s’intéresse à la domination dans une perspective politique.
En effet, comme le rappellent Henri Mendras et Jean Etienne (1996), « La spécificité du politique réside chez Weber dans la domination de l’homme sur l’homme » (p. 166). Il va même plus loin : Derrière la proclamation des grands principes démocratiques, il décèle la réalité crue des rapports de domination : « Le fait que le chef et la direction administrative d’un groupement se présentent comme serviteurs de ceux qu’ils dominent n’est nullement une preuve contre la domination » (Id, p. 166). La domination s’exerce donc à tous les niveaux de la société, que ce soit au niveau de l’Etat ou de l’administration – nous y reviendrons à propos de la bureaucratie -.
Maintenant, rentrons en détail dans la pensée de Weber à travers une lecture guidée du chapitre III du premier volume d’Economie et Société. Je m’appuie sur le livre directement mais une traduction actualisée a été réalisée par Elisabeth Kauffmann dans la revue Sociologie (cf. ici)
La définition de la domination donnée par Weber
La domination signifie la chance de trouver des personnes déterminables prêtes à obéir à un ordre de contenu déterminé (…) Le fait de la domination est seulement lié à la présence actuelle d’un individu qui commande avec succès à d’autres, mais il n’est absolument pas lié à l’existence d’une direction administrative ni à celle d’un groupement. Par contre, bien sûr – du moins dans les cas normaux,- à l’une des deux (1995, p. 96).
Pour illustrer sa définition, Weber prend l’exemple du père de famille qui exerce sa domination sans « direction administrative ». La domination peut s’exercer par la « puissance », un concept que Weber emprunte vraisemblablement à Nietzsche, et ne nécessite pas nécessairement la violence. La domination peut aussi s’exercer dans un cadre administratif mais nous nous arrêterons sur ce point plus tard.
La domination, précise Weber un peu plus loin dans Economie et société (p. 285 du volume I de l’édition de 1995), désigne :
La chance, pour des ordres spécifiques (ou pour tous les autres), de trouver obéissance de la part d’un groupe déterminé d’individus. Il ne s’agit cependant pas de n’importe quelle chance d’exercer « puissance » et « influence » sur d’autres individus. En ce sens, la domination (« l’autorité ») peut reposer, dans un cas particulier, sur les motifs les plus divers de docilité : de la morne habitude aux pures considérations rationnelles en finalité. Tout véritable rapport de domination comporte un minimum de volonté d’obéir, par conséquent un intérêt, extérieur ou intérieur, à obéir (p. 285)
Cette définition appelle quelques commentaires : la domination peut s’exercer sans violence, nous sommes tous pris dans des rapports de domination, que ce soit avec notre famille, le contrôleur du train qui vérifie notre billet, notre chef dans une entreprise, ou de manière plus subtile par l’administration qui nous demande de remplir un certain nombre de formulaires pour accéder à une demande. Il n’y a pas de « violence » derrière ces approches, elles relèvent pourtant de formes de domination que Weber distingue sous la formes d’idéaux-types que nous allons maintenant aborder.
Les trois types de domination légitime
La construction typologique de Weber repose d’abord sur la légitimité de la domination : conformément à ce que nous avons vu plus haut, la domination est légitime parce qu’elle s’inscrit dans un rapport instrumental (on agit en fonction d’une fin).
– La domination légale reposant sur la légitimité rationnelle : elle repose, dit Weber, sur la « croyance en la légalité des règlements arrêtés et du droit de donner des directives qu’ont ceux qui sont appelés à exercer la domination par ces moyens » (1995, p. 289). Le cas de la bureaucratie est analysé par Weber de manière originale mais nous reviendrons plus en détails sur ce point plus bas.
– La domination légale reposant sur un caractère traditionnel : il s’agit de la croyance en la « sainteté des traditions » (Id.). Mendras & Etienne (1996) prennent l’exemple du pouvoir monarchique tel qu’il s’exerçait sous l’Ancien Régime : le roi est désigné par Dieu et sa désignation répond à des coutumes immuables (la loi salique, en France, interdisait aux femmes de régner par exemple).
– La domination légale-charismatique : il s’agit ici de « la soumission extraordinaire au caractère sacré, à la vertu héroïque ou à la valeur exemplaire d’une personne, ou encore émanant d’ordres révélés ou émis par celle-ci » (Weber, 1995, p. 289). Il s’agit ici du personnage historique auquel on ne peut dénier son rôle clé dans l’histoire ou dans la tradition. Il s’agit précisent Mendras et Etienne, du prophète religieux ou du chef de guerre victorieux (Napoléon, le Général de Gaulle).
En fait, derrière ces trois formes de domination légales, il y a une opposition entre une domination impersonnelle reposant sur le respect de la règle (la domination légale) et des formes de dominations reposant sur le respect de la personne (domination charismatique et domination traditionnelle) (Mendras & Etienne, p. 168). Un second clivage est donné par Mendras & Etienne : il s’agit de la domination qui s’exerce au quotidien (la domination traditionnelle et la domination légale) et celle qui s’exerce sur du temps long (la domination charismatique). Les figures de Jean Jaurès ou du Général de Gaulle, par exemple, sont toujours invoquées par certains responsables politiques par exemple.
La routinisation du charisme
La domination charismatique, nous l’avons vu, s’exerce sur un temps long : elle est extraordinaire et prend le caractère d’une relation durable : « communauté » des compagnons de la foi, des guerriers ou des disciples, ou bien groupement politique ou hiérarchique » (Weber, 1995, p. 326). Autrement dit, la domination charismatique, dans la mesure où elle s’installe de manière durable dans la société, tend à se confondre avec la domination légale et avec la domination traditionnelle. Dans le cas de la domination légale, il s’agit par exemple de notre Constitution (datant de 1958) et dans le cas de la domination traditionnelle, il s’agit de l’obéissance aux préceptes d’un personnage religieux (Jésus par exemple).
La bureaucratie : le type pur de la domination légale
Il y a quelques années, David Graeber (anthropologue et économiste) a publié un essai remarquable sur la bureaucratie intitulé Bureaucratie : l’utopie des règles. Il montre dans cet essai en quoi la bureaucratie a façonné notre quotidien. Il écrit ironiquement : « Il faut mille fois plus de paperasse pour entretenir une économie de marché libre que la monarchie absolue de Louis XIV » (Texte mis sur la couverture du livre). Or, la bureaucratie est au coeur de la domination légale chez Weber qui y consacre quelques pages dans Economie et société. Les fonctionnaires, nous dit Weber, se caractérisent par quatre éléments :
– Ils sont personnellement libres et n’obéissent qu’aux devoirs de leur fonction
– Ils sont ancrés dans une hiérarchie donnée par rapport à leur fonction
– Ils détiennent des compétences solidement établies
– Ils sont liés à l’Etat par un contrat selon leur qualification et sont payés en espèces
– Leur fonction est unique (ils ne font que ce pour quoi ils sont rémunérés)
– Ils « voient s’ouvrir à eux une carrière » (p. 295) selon leur ancienneté, selon la qualité de leur travail, selon la volonté de leurs supérieurs
– Ils travaillent totalement séparés des moyens d’administrations » et sans appropriation de leurs emplois
– Ils sont soumis à une discipline stricte et à un contrôle
La définition que propose Weber s’applique à n’importe quel type d’administration encore aujourd’hui et c’est une image un peu ironique qu’en dépeignent les auteurs des 12 travaux d’Astérix. La bureaucratie se définit donc, dans un premier temps, par ses agents. Mais Weber va plus loin en montrant que la bureaucratisation des sociétés industrialisées modernes est un phénomène irréversible en raison d’une efficacité technique supérieure aux autres formes d’administration : elle est à la fois plus rapide, plus précise, et plus objective, permettant ainsi de résoudre les problèmes en évitant les conflits de personne (Mendras & Etienne, 1996, p. 171). Weber souligne également toutes les limites de la bureaucratie :
– Elle a une tendance au nivellement en recrutant les personnes les plus qualifiées dans leurs champs de compétences, ce qui tend à les couper du reste de la population
– Elle a une tendance à la ploutocratisation puisqu’il faut une longue formation pour devenir fonctionnaire – à titre d’exemple, en France, le recrutement d’un Maître de conférences à l’Université se situe autour de 35 ans –
– Elle est impersonnelle et répond uniquement à des devoirs, sans tenir compte des individus (Weber, 1995, p. 300).
Enfin, tout comme il y a un « esprit du capitalisme », Weber parle « d’esprit de la bureaucratie rationnelle » (Id, p. 301) qui se caractérise par :
– Le formalisme, afin d’éviter l’arbitraire
– L’inclination des fonctionnaires à traiter dans un sens matériel et utilitaire les tâches d’administration qui sont les leurs au service du bonheur des administrés (Id, p. 301). Autrement dit, les fonctionnaires agissent de manière rationnelle – en finalité – dans leurs tâches.
Sources :
Utilisées dans le texte :
Weber M. Economie et société I Les Catégories de la sociologie, Paris, Pocket, 1995
Mendras H. & Etienne J., Les grands auteurs de la sociologie, Paris, Hatier, 1996
Pour aller plus loin :
Graeber D. Bureaucratie, Les Liens qui libèrent, 2015
Martuccelli, D.. « Figures de la domination », Revue française de sociologie, vol. 45, no. 3, 2004, pp. 469-497.
Weber M., « Les trois types purs de la domination légitime (Traduction d’Elisabeth Kauffmann) », Sociologie, 2014/3 (Vol. 5), p. 291-302. DOI : 10.3917/socio.053.0291. URL : https://www.cairn.info/revue-sociologie-2014-3-page-291.htm


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