
L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme est l’un des livres les plus célèbres de Max Weber. Paru en 1905, il est un incontournable de la sociologie à la fois pour les constats qu’il porte mais également pour son actualité. Pour Max Weber, le protestantisme et le capitalisme sont des idéaux-types (pour en savoir plus sur cette notion, je vous renvoie à l’article consacré à la méthodologie de Max Weber).
Mais avant de rentrer en détails au cœur du texte de Weber, il convient d’en décortiquer le titre comme le fait Raymond Aron. Parler « d’esprit » ne va pas de soi et n’est pas une conception courante en sociologie. Par « esprit du capitalisme », il faut, nous dit Weber, le concevoir comme « un « individu historique », c’est-à-dire d’un complexe de relations présentes dans la réalité historique, que nous réunissons, en vertu de leur signification, en un tout conceptuel (…) Sous le concept d’ »esprit » du capitalisme il n’est nullement nécessaire de comprendre seulement ce qui se présente à nous en tant qu’essentiel pour l’objet de nos recherches« . (Weber, 1964, cité par Aron, 1967, p. 531). En d’autres termes, comme le précise Raymond Aron, il n’existe pas « un » mais « des » capitalismes et le tour de force de Weber est d’en donner une définition précise :
« Le capitalisme, selon Max Weber, se définit par l’existence d’entreprises dont le but est de faire le maximum de profit et dont le moyen est l’organisation rationnelle du travail et de la production. C’est la jonction du désir de profit et de la discipline rationnelle qui constitue historiquement le trait singulier du capitalisme occidental » (Id., p. 531).
Nous avons donc une définition de l’esprit du capitalisme, mais que faut-il entendre par « éthique protestante » ? Et comment Weber parvient-il à joindre les deux ?
A l’époque où Weber écrit, le protestantisme est bien implanté en Europe depuis le XVIe siècle et, comme nous le rappellent Henri Mendras et Jean Etienne (1996) :
– Les protestants sont sur-représentés parmi les chefs d’entreprise et les détenteurs de capitaux
– Les catholiques sont sous-représentés parmi les chefs d’entreprises et les étudiants s’orientent surtout vers les études en humanités que dans les études commerciales
– L’industrie attire davantage les protestants que les catholiques qui préfèrent rester dans l’artisanat
La question que pose Weber est donc la suivante : quels sont les traits particuliers de la religion protestante qui ont pu influencer une conduite de vie caractéristique du capitalisme moderne ? (Mendras & Etienne, 1996, p. 151).
Weber montre que chez les catholiques, le salut passe par la fidélité à l’Eglise et à la vie terrestre : l’acquisition de richesses n’est donc pas une bonne chose. En revanche, chez les protestants, à la suite des thèses de Calvin (XVIe siècle), la profession (Beruf) est un devoir voire une épreuve de la foi. Il faut avoir le goût de l’épargne et du travail, donc de l’acquisition de richesses. Il s’agit d’une vocation – un terme clé chez Weber – qui caractérise le protestantisme et donc l’essor du capitalisme.
Il y a donc une affinité élective (une articulation étroite) entre l’idéal-type du protestantisme et l’idéal-type du capitalisme qui s’articule en trois temps :
– D’abord, il faut construire le modèle idéal-typique du capitalisme comme cela a été présenté ci-dessus
– Il faut ensuite isoler certains traits typiques du protestantisme
– Et mettre en évidence les affinités électives entre protestantisme et capitalisme.
Pour prouver sa thèse, Weber s’appuie sur un sermon de Benjamin Franklin que l’on peut résumer comme suit : « le temps c’est de l’argent, le crédit, c’est de l’argent ». Alors que la vie traditionnelle économique consistait jusque-là à vivre en se satisfaisant de ses besoins, l’émergence de l’entrepreneur a mis en place de nouvelles valeurs : innovation, mise en concurrence des marchés, réduction des prix pour booster la concurrence etc. Contrairement aux catholiques, les protestants n’ont pas à répondre de leurs actions devant l’Eglise en tant qu’institution, mais devant Dieu. Il est donc logique qu’ils cherchent à améliorer leurs conditions de vie terrestre puisqu’ils sont affranchis de l’autorité d’une institution donnée.
Cependant, il ne s’agit pas de gagner de l’argent à tout prix par avidité : il s’agit d’épargner, comme nous l’avons précisé, pour investir sur le long terme. Un point clé du calvinisme, souligné par Weber, est la doctrine de la prédestination.
En résumé, dès sa naissance, chaque homme est prédestiné à aller en enfer ou au paradis, mais personne ne sait de quel côté penche son destin. Il est donc du devoir du capitaliste de se comporter comme s’il était élu, ce qui est contre-intuitif. Le travail est un remède à l’angoisse de son destin et c’est ainsi que le capitalisme peut se développer. Par ailleurs, les protestants doivent observer une logique ascétique (d’où l’épargne) puisque le loisir est un péché. De fait l’éthique protestante est étriquement liée à l’esprit du capitalisme et c’est ainsi, montre Weber, que l’on peut expliquer l’émergence de la figure de l’homo oeconomicus, cet individu idéal-typique calculateur par rapport à l’offre et à la demande.
Sources :
Weber M. L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme, Paris, Plon, 1964
Aron R., Les étapes de la pensée sociologique, Paris, Gallimard, 1967
Mendras H. & Etienne J., Les grands auteurs de la sociologie, Paris, Hatier, 1996


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