Les problématiques philosophiques de la seconde moitié du XIIIe siècle : tous les hommes ont-ils la même intelligence et le monde est-il éternel ? La réponse de Bonaventure

Les problématiques philosophiques de la seconde moitié du XIIIe siècle : tous les hommes ont-ils la même intelligence et le monde est-il éternel ? La réponse de Bonaventure
  1. Introduction : La découverte d’Aristote en Occident au XIIIe siècle
  2. L’enseignement d’Aristote est-il contraire à la doctrine de la Bible ? Oui selon certains…
  3. L’intervention de Bonaventure (son prénom est rigolo) dans ces débats : il va à l’encontre d’Averroès
  4. L’intelligence est-elle commune à tous les humains ? Une problématique clé de la philosophie médiévale
  5. Conclusion : pour Bonaventure, il est difficile de concilier la philosophie et la religion

Introduction : La découverte d’Aristote en Occident au XIIIe siècle

Tout commence au XIIIe siècle avec la découverte de la philosophie d’Aristote et sa traduction en latin ainsi que par les commentaires qu’en a fait le philosophe cordouan Averroès. Par respect pour ces auteurs, Thomas d’Aquin (1220-1274) les appellera respectivement le Philosophe et le Commentateur. Nous reviendrons sur cette histoire fascinante dans d’autres publications parce qu’elle marque un tournant dans l’histoire des idées.

Jusqu’à la première moitié du XIIIe siècle, en Occident, l’enseignement d’Aristote ne posait aucun souci dans les facultés, notamment à la Sorbonne.

L’enseignement d’Aristote est-il contraire à la doctrine de la Bible ? Oui selon certains…

Mais après 1250, les choses se corsent : l’enseignement d’Aristote (et d’Averroès) n’est-il pas contraire à la foi chrétienne ? Un auteur franciscain (relevant de l’ordre de François d’Assise, les franciscains cherchaient à vivre dans la vie la plus simple), explique dans un cours de 1266-1267 que l’aristotélisme et la philosophie d’Averroès sont dangereuses parce qu’elles questionnent :

  • L’unicité de l’intellect humain (sur ce point très technique qui nécessiterait un ensemble de publications à lui tout seul, signalons simplement que pour Averroès, il n’existe qu’une seule intelligence commune à tous les hommes)
  • L’éternité du monde (le monde n’a ni commencement, ni fin)
  • L’action du feu de l’enfer sur les damnés (si le corps et l’âme se séparent, que peut faire le feu sur l’âme ?)

Aujourd’hui, ces questions paraissent dérisoires mais à l’époque, elles ont donné lieu à un ensemble de débats animés chez les philosophes et les théologiens. Elles sont notamment remontées aux oreilles d’un certain Saint Bonaventure (1220-1274), qui faisait parti des autorités importantes de l’Eglise durant cette période.

L’intervention de Bonaventure (son prénom est rigolo) dans ces débats : il va à l’encontre d’Averroès

En 1267, Bonaventure donne un ensemble de cours où il dénonce le danger que fait courir la pensée d’Aristote (et d’Averroès) ainsi que de leurs disciples. Pour lui, la recherche philosophique est utilisée à mauvais usage : « Toutes les inventions fausses et superstitieuses de l’erreur procèdent soit d’une aventure philosophique sans scrupules, soit d’une compréhension perverse des Saintes Écritures, soit de l’affection désordonnée de la chair humaine » écrit-il par exemple dans l’un des cours retrouvés (cité par Van Steenberghen, 1977, p. 35). Les deux erreurs les plus graves, pour Bonaventure, sont la thèse de l’éternité du monde et celle d’une intelligence commune à tous les hommes.

Commençons par la première : sur l’éternité du monde : cette doctrine revient à renier les premières lignes de la Bible selon laquelle Dieu a créé le monde en sept jours. Si tel est le cas, alors le monde a un commencement et ne peut donc pas être éternel… Cela implique aussi que Jésus n’a pas pu s’incarner en le Fils de Dieu.

La seconde « erreur » est celle d’une intelligence commune à tous les hommes. Cela revient à dire que le bien et le mal se confondent et que les hommes les plus mauvais et les meilleurs sont à égalité.

Bonaventure dénonce ensuite une troisième « erreur » : celle de la mortalité des âmes, ce qui va à l’encontre de la Bible et dénonce « le mauvais usage de la philosophie« .

Ces différentes erreurs proviennent en fait d’une confusion entre l’enseignement d’Aristote qui était, jusque-là, autorisé, et la relecture d’Aristote par Averroès, le philosophe cordouan de la fin du XIIe siècle.

L’intelligence est-elle commune à tous les humains ? Une problématique clé de la philosophie médiévale

Arrêtons-nous sur la thèse de l’intelligence commune à tous les hommes (ou monopsychisme). Dans cette vision, il n’y a ni bien ni mal dans une vie future (post-mortem) et cela va à l’encontre du Salut post-mortem. Pour Bonaventure, la perspective d’Averroès donne comme conséquence que « l’homme le plus pervers est sauvé et que le meilleur est damné » (cité par Van Steenberghen, 1977, p. 37). Pourtant, il y a une erreur de lecture d’Averroès : chez ce philosophe, l’intellect n’est pas individuel mais collectif à l’humanité.

Dans tous les cas, les thèses sur l’éternité du monde et le monopsychisme vont donner lieu à de multiples débats – parfois violents physiquement – à partir des années 1260 qui vont faire intervenir des personnages célèbres, comme Thomas d’Aquin, et vont donner lieu à une opposition entre foi et philosophie : comment concilier les deux ? Comment concilier foi et raison ? Cette question, à laquelle Averroès avait déjà tenté de répondre, va devenir l’une des questions centrales de la philosophie du XIIIe siècle.

Conclusion : pour Bonaventure, il est difficile de concilier la philosophie et la religion

En conclusion, une citation de Bonaventure qui résume toute la problématique causée par la difficile/impossible conciliation entre Aristote et la Bible :

Le 26 décembre 1267, nouvelle mise en garde contre la sagesse philosophique et la vaine curiosité. Les philosophes ne connaissent que les vertus acquises par la répétition des actes bons ; ils ignorent les vertus infuses, dons de la grâce divine et sources de nos actes bons et méritoire (cité p.46).

Source :

Van Steenberghen, F. Maître Siger de Brabant, Publications Universitaires de Louvain, 1977

Une réponse à « Les problématiques philosophiques de la seconde moitié du XIIIe siècle : tous les hommes ont-ils la même intelligence et le monde est-il éternel ? La réponse de Bonaventure »

  1. […] sur l’histoire de la philosophie comme nous avons déjà pu l’apercevoir avec la scolastique.Donc : résumons : la distinction entre les trois sortes d’intellect présentée par […]

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