Le sac de Troie (Virgile, L’Enéide, Livre II)

Homère n’a pas raconté l’histoire du Cheval de Troie dans l’Iliade ou l’Odyssée, mais pour comprendre ce chant de l’Enéide, il est préférable d’avoir une connaissance de l’histoire de la Guerre de Troie. Pour en savoir plus, voir : https://lesitedushifa.com/a-la-decouverte-du-cycle-troyen/

Énée est invité par Didon à raconter la chute de Troie. Il commence son récit en affirmant que raconter ces événements ravive une douleur qu’il préférerait taire, mais il ne peut refuser à Didon, dans le silence de la nuit, le récit de la fin de Pergame.

Énée raconte comment les Grecs, sous la direction de leur chef Ulysse, feignirent la retraite. Ils abandonnèrent leur camp et s’embarquèrent, cachant leurs navires derrière l’île voisine de Ténédos, laissant les Troyens croire à une délivrance inespérée.

Sur le rivage déserté, ils laissèrent une offrande stupéfiante : un gigantesque Cheval de Bois, d’une hauteur prodigieuse, dont les flancs étaient faits de planches de sapin entrelacées.

Le stratagème du Cheval de Troie : Laocoon et la ruse de Sinon

Les Troyens, sortant de leurs murs, contemplèrent avec une joie mêlée de crainte cet objet mystérieux. L’excitation était à son comble. Deux factions s’opposèrent violemment : Ceux qui voulaient la destruction : Le prudent Capys et d’autres chefs proposaient de jeter l’ouvrage à la mer ou d’y mettre le feu, méfiants devant un cadeau des Grecs ; Ceux qui prônaient l’acceptation : La foule, lassée de la guerre, était tentée de voir là un signe de paix.

C’est alors qu’intervint le prêtre de Neptune, Laocoon, mû par une inspiration divine :

 Malheureux ! Êtes-vous complètement fous, citoyens ?

Vous croyez l’ennemi parti ?… Vous imaginez-vous qu’il y ait des offrandes

Des Danaens sans tromperie ?… C’est bien connu, c’est le genre d’Ulysse ?…

Ou bien, enfermés dans ce bois, il se cache des Achéens,

Ou bien la machine a été conçue pour assaillir nos murs,

Espionner nos maisons et venir attaquer la ville par en haut,

Ou il y a un autre piège là-dessous… Troyens, ne vous fiez pas à ce cheval !

Quoi qu’il en soit… je crains les Danaens, même quand ils font des offrandes .

Joignant le geste à la parole, Laocoon lança sa forte lance dans le flanc arrondi du Cheval. Le bois résonna d’un sourd gémissement, signalant sans équivoque la cavité secrète, mais les destins de Troie devaient être accomplis.

L’hésitation des Troyens fut balayée par l’arrivée opportune d’un prisonnier grec, Sinon. Les bras liés, pleurant et implorant pitié, ce jeune homme s’attira la compassion de Priam.

Sinon échafauda un récit fallacieux et ingénieux. Il prétendit avoir été la victime du cruel Ulysse, choisi comme sacrifice humain pour assurer le bon retour de la flotte grecque. S’étant échappé, il cherchait désormais refuge auprès des Troyens.

Interrogé sur le Cheval de Bois, il affirma qu’il s’agissait d’une offrande à Minerve pour expier le vol du Palladium, la statue sacrée garante de la survie de Troie. Alors que les Troyens étaient encore partagés, le Destin frappa pour éteindre toute prudence.

Énée décrit l’horreur : tandis que Laocoon célébrait un sacrifice à Neptune, deux monstres marins, deux serpents aux écailles bleues, surgirent des eaux et se dirigèrent droit sur lui. S’enroulant autour des corps de ses deux jeunes fils, puis autour de Laocoon lui-même, ils les écrasèrent dans leurs anneaux, le prêtre poussant des cris atroces.

La foule, effrayée, y vit instantanément le châtiment divin : Laocoon avait offensé Minerve en frappant le cheval.

Le doute était levé. Avec une ferveur insensée, la foule se mit au travail : les murs furent partiellement démolis pour permettre le passage du Cheval. Des câbles et des rouleaux furent disposés, et le monument funeste fut traîné dans l’enceinte sacrée, accompagné des chants de triomphe.

Remparts des Dardaniens !… Quatre fois, au seuil même des portes

Elle buta, et dans le ventre quatre fois les armes résonnèrent…

On continue pourtant, sans y faire attention, avec un fol aveuglement,

Et ce monstre maudit, nous l’installons dans l’acropole sainte !

La nuit qui suivit, Troie était perdue, livrée au sommeil, au vin et au Destin. Le plan de Sinon allait s’accomplir, marquant la fin irréversible de la glorieuse Pergame.

Car, si les Troyens parvenaient à le faire entrer, il leur assurerait une protection divine qui leur permettrait même d’assiéger les Grecs chez eux.

Le Cheval était volontairement trop grand pour ne pas pouvoir être introduit dans les murs troyens.

Dans l’obscurité de la nuit, alors que la ville était plongée dans le sommeil et le vin du triomphe, Sinon ouvrit la trappe du Cheval. Les guerriers grecs, menés par Ulysse et Ménélas, en sortirent. Les signaux furent donnés à la flotte qui, revenue de Ténédos, débarqua ses troupes.

Le massacre de Priam et la chute des remparts

Énée est tiré de son sommeil non par le bruit des combats, mais par l’apparition funèbre d’Hector, blessé et couvert de poussière, qui lui apparaît en rêve. Le fantôme d’Hector lui lance l’avertissement :

« Ah, fuis ! Enfant de la déesse, arrache-toi de ces flammes.

L’ennemi tient les murs… Troie croule du plus haut de sa grandeur.

Tu as assez donné à Priam et à la patrie

Énée se réveille et, voyant les flammes et entendant les cris, se précipite au combat, mû par une fureur désespérée, mais vaine.

Au cours des combats féroces, Énée assiste au spectacle déchirant du vieux roi Priam, massacré par le cruel Pyrrhus (fils d’Achille) sur l’autel de son propre palais, après avoir vu son fils Polites mourir sous ses yeux.

Cette vision terrible lui rappelle sa propre famille : son père, Anchise, son épouse, Créüse, et son fils, Ascagne (Iule). Il décide d’abandonner le combat et se hâte de les sauver.

En chemin, il aperçoit Hélène, terrifiée, cachée près du temple de Vesta. Énée est tenté de la tuer, la jugeant responsable de tous les malheurs, mais Vénus, sa mère, lui apparaît à nouveau, l’implorant de se maîtriser. Elle lui rappelle que sa seule mission est le Salut de sa lignée. Elle lui montre les Dieux eux-mêmes détruisant Troie, manifestant que ce n’est pas la faute des Grecs, mais la volonté du Destin.

Vénus aide Enée à partir

Arrivé à sa demeure, Énée trouve son père Anchise qui refuse d’abord de fuir, préférant mourir sur sa terre. Ce n’est qu’après l’apparition d’un double prodige qu’il se laisse convaincre : une flamme légère et inoffensive se pose sur la tête d’Ascagne, sans le brûler et un coup de tonnerre retentit à gauche, et une étoile filante traverse le ciel, indiquant la route à suivre.

Anchise, reconnaissant enfin le signe des Dieux, accepte de partir. Énée se charge alors du vieux Anchise sur son dos (portant ainsi l’âge), Ascagne se tient à sa main (l’avenir), et Créüse suit à distance.

Cependant, dans la confusion de la fuite, Énée perd Créüse. Il retourne seul, désespéré, dans la ville en flammes pour la chercher. Là, l’ombre de Créüse lui apparaît :

«Pourquoi tant te laisser aller, comme à plaisir, à une douleur insensée,

Ô mon doux, mon époux ? Rien de tout ça n’arrive sans la volonté des dieux !

Non : emmener d’ici Créüse pour compagne, ce n’est pas ton destin,

Ou bien il ne le permet pas, le Très-Haut maître de l’Olympe.

Pour toi, l’exil au loin… et labourer la plaine immense de la mer,

Et tu aboutiras en terre d’Hespérie, où le Thybre lydien

Coule paisiblement au milieu des riches labours des hommes.

Là-bas t’attendent la prospérité, un royaume, une épouse royale…

Sèche les larmes que tu verses pour Créüse, ton amour :

Moi, les palais orgueilleux des Myrmidons ou des Dolopes,

Je ne les verrai pas, je n’irai pas chez les princesses grecques, en esclavage,

Moi qui descends de Dardanus, moi qui suis la bru de la déesse Vénus…

La Grande-Mère qui a enfanté les dieux me retient sur ces rivages.

Adieu, maintenant, sois heureux ; notre enfant, gardes-en l’amour pour nous deux »

Elle lui enjoint de prendre soin de leur fils et disparaît.

Énée, le cœur brisé mais résigné au Destin, retourne vers ses compagnons. Il trouve une foule de Troyens rescapés, tous prêts à suivre le chef vers un nouveau monde. Ils se dirigent ensemble vers le Mont Ida.

C’est ainsi que se termine le récit d’Énée, qui, en terminant son histoire à Didon, ravive sa propre douleur et jette les bases de son amour tragique pour la reine.

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