
Vie d’Épictète
Né vers 50 ap. J.-C. à Hiérapolis, en Phrygie (dans l’actuelle Turquie), Épictète est un philosophe grec de l’époque romaine, l’un des principaux représentants du stoïcisme impérial aux côtés de Sénèque et Marc Aurèle. Sa biographie reste largement obscure, mais il aurait été esclave dans sa jeunesse. Acheté par Epaphrodite, un affranchi de Néron, il est amené à Rome où il suit probablement l’enseignement du stoïcien Musonius Rufus.
À cette époque, les philosophes sont souvent mal vus des empereurs : certains sont expulsés, d’autres condamnés. Ainsi, en 65, Sénèque est contraint au suicide par Néron. Affranchi, Épictète fonde à son tour une école à Rome, où il enseigne en grec. Mais Domitien reprend la politique d’expulsion des philosophes vers 93-94, obligeant Épictète à s’exiler en Grèce. Il s’installe à Nicopolis, où il vit pauvrement, consacrant sa vie à l’enseignement.
Son influence est notable : le futur gouverneur de Cappadoce, Arrien de Nicomédie, assiste à ses cours et consigne ses paroles dans les Entretiens et le Manuel, les seules sources par lesquelles nous connaissons sa pensée. Épictète lui-même n’a jamais rien écrit. Il meurt vers 135 ap. J.-C.
Résumé structuré du Manuel d’Épictète
Le Manuel (ou Enchiridion) est une synthèse de 53 maximes stoïciennes, condensant en une trentaine de pages l’essentiel de la pensée d’Épictète. Ces aphorismes, issus des Entretiens, sont destinés à guider l’élève stoïcien dans sa formation morale.
Plan du Manuel
La liberté intérieure : discerner ce qui dépend de nous (1 à 21)
La conduite du sage dans la société (22 à 47)
L’appel à une pratique immédiate de la philosophie (48 à 53)
Ce qui dépend de nous et ce qui ne dépend pas de nous chez Épictète
La maxime inaugurale du Manuel est sans doute la plus célèbre :
Manuel, I
Il y a ce qui dépend de nous, il y a ce qui ne dépend pas de nous. Dépendent de nous l’opinion, la tendance, le désir, l’aversion, en un mot toutes nos œuvres propres ; ne dépendent pas de nous le corps, la richesse, les témoignages de considération, les hautes charges, en un mot toutes les choses qui ne sont pas nos œuvres propres.
Cette formule qui est l’une des plus connues d’Épictète renvoie à une idée centrale dans le développement du livre.
Je dois connaître ce qui dépend de moi. Je dois aussi savoir ce qui ne dépend pas de moi. Ainsi, je ne dois pas renoncer à la liberté. Je n’ai pas à céder au despotisme par exemple puisqu’il ne dépend pas de moi. En ce sens, je suis libre. Il en va de même pour les différentes affections qui peuvent toucher les uns et les autres. Épictète prend l’exemple de la perte d’un enfant. Puisque l’on n’a pas prise dessus, nous ne pouvons rien faire de plus à part accepter la situation.
Un autre enjeu mis en avant par Épictète est le fait de s’inquiéter par rapport à ce de quoi nous avons peur : selon lui, ce n’est pas l’événement qui nous fait peur mais le jugement que l’on porte sur lui :
Manuel, V
Ce ne sont pas les choses qui troublent les hommes, mais les jugements prononcés sur les choses : ainsi la mort n’est rien de terrible (car même à Socrate elle serait apparue terrible), mais le jugement prononcé sur la mort : qu’elle est terrible – voilà ce qui est terrible.
Ce n’est donc pas la mort en soi qui nous effraie, mais l’opinion selon laquelle elle serait redoutable. De même, ce ne sont pas les événements, mais l’interprétation que nous en faisons, qui déterminent nos émotions. Cette leçon a une portée universelle : elle nous invite à interroger nos représentations plutôt qu’à réagir impulsivement.
Le principe directeur de l’âme : hêgemonikon
La philosophie d’Épictète repose sur un concept fondamental : celui du principe directeur (hêgemonikon), la part rationnelle de l’âme, siège de nos jugements.
Manuel, XXXVIII
Comme dans la promenade tu fais attention à ne pas marcher sur un clou ou à ne pas te tordre le pied, de même fais attention à ne pas nuire à ta partie maîtresse. Et si nous veillons sur elle en toute œuvre, c’est plus sûrement que nous nous mettrons à l’œuvre.
L’hêgemonikon est responsable de la manière dont nous percevons les choses. Épictète distingue trois fonctions que nous devons apprendre à discipliner :
- Le désir (orexis) : notre orientation vers ce que nous estimons bon ;
- L’impulsion (hormê) : ce qui déclenche nos actions ;
- Le jugement (hypolepsis) : ce qui évalue la réalité.
La liberté consiste donc à accorder notre volonté à la nature rationnelle de notre âme. C’est en gouvernant correctement ces trois dimensions que l’on accède à l’autonomie intérieure.
Le monde comme théâtre : accepter son rôle
L’homme n’est pas maître des circonstances de sa vie, mais il est libre dans la manière de jouer le rôle qui lui est confié :
Manuel, XVII
Rappelle-toi : tu es acteur dans un drame, un drame tel que le veut l’auteur : court, s’il le veut court ; long, s’il le veut long ; s’il veut que tu joues un mendiant, c’est pour que ,celui-là aussi, tu le joues avec talent, de même s’il s’agit d’un boiteux, d’un magistrat, d’un simple particulier. Ce qui te revient en effet, c’est de bien jouer le rôle qui t’a été donné ; mais le choisir, c’est l’affaire d’un autre.
Ce passage illustre l’acceptation du destin (heimarmenê) chère aux stoïciens. Le philosophe n’échappe pas à la condition humaine ; il s’efforce simplement d’agir avec justesse dans le cadre qui lui est imposé.
Le philosophe dans la cité : vivre sans se corrompre
Épictète invite l’apprenant à la philosophie à adopter un certain nombre d’attitudes :
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, Épictète n’invite pas à fuir la société. Il enseigne plutôt une manière d’y vivre sans perdre son autonomie. Pour vivre en société, il faut accepter l’idée que l’on occupe un rôle précis qui relève du destin. On est acteur dans un drame selon Épictète après tout. Le philosophe ne refuse donc pas la vie sociale. Il refuse que celle-ci pèse sur sa liberté intérieure et fasse obstacle à sa progression vers la sagesse. Dans le Manuel, Épictète cherche à définir l’équilibre entre la vie sociale et la préservation de l’autonomie.
Le philosophe doit également s’appliquer à des règles disciplinaires en société :
1) Les relations sociales doivent être réduites au minimum imposé par les convenances
2) Le philosophe doit rester discret et modéré avec les autres
3) Il soigne son image qui doit toujours être digne et grave mais il ne juge pas les autres et ne les convertit pas à la philosophie par ses discours
Manuel, XXXIII
Fixe-toi dès aujourd’hui un style et un modèle que tu garderas à la fois pour toi-même et en présence des hommes. Et, le plus souvent, garde le silence, ou ne dis que le nécessaire et laconiquement.
La vie sociale est également une tentation de se laisser vaincre par les plaisirs illusoires et d’aliéner sa volonté par une apparence extérieure. C’est pour cela qu’il faut contrôler le principe directeur de l’âme comme vu précédemment. C’est par sa liberté intérieure et à l’intérieur de soi que le philosophe trouve le bonheur. *
Une sagesse exigeante, mais accessible
Le Manuel d’Épictète est un guide exigeant vers la liberté intérieure. Il ne promet pas l’absence de souffrance, mais propose une méthode pour ne plus en être esclave. Refuser l’illusion du contrôle sur le monde extérieur, cultiver le jugement droit, agir selon la raison : telle est la voie du sage stoïcien.


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