Jean Boccace, témoin de la Peste

Jean Boccace (1313-1375) fait partie des fondateurs de la tradition littéraire italienne aux côtés de Dante et Pétrarque, mais il est aussi l’un des inspirateurs de la culture humaniste qui marquera la Renaissance européenne.

Le Décaméron est son ouvrage le plus célèbre : il s’agit de cent nouvelles racontées en dix jours par sept femmes et trois hommes – mais nous reviendrons sur ce point plus tard. Le Décaméron a été publié entre 1349 et 1353, durant la Grande Peste. La Peste Noire, dont nous avons déjà parlé sur ce site, a été une catastrophe pour les peuples. Jean Boccace en a lui-même été témoin, et c’est sur cet événement que s’ouvre la première journée du Décaméron.

La peste sévit à Florence en 1348 : elle vient des « régions orientales » et rien ne permet de l’endiguer. Pourtant, Boccace mentionne des mesures d’hygiène mises en place : « débarrasser la cité de ses immondices (…) interdire l’entrée aux malades (…) donner une foule de conseils pour la conservation de la santé ». En parallèle, des gens s’improvisaient médecins et rendaient l’endiguer la peste plus complexe : « la vertu d’aucune médecine n’apportait de remède ; bien plus, soit que la nature du fléau y fût rebelle, soit que l’ignorance des médicastres (immense était devenu le nombre de ceux qui, hommes ou femmes, pratiquaient à côté des vrais savants sans avoir jamais reçu la moindre instruction médicale) ». De plus, la vitesse de la contamination impressionnait les individus : « Ce qui donna une si grande force à cette pestilence, ce fut qu’à partir des malades et au gré des contacts, elle s’attaquait aux bien-portants aussi vite que le feu se met à dévorer les choses sèches ou grasses qui se trouvent à proximité ». Parmi les facteurs de contamination, Boccace relève également le fait de parler aux malades ou de toucher leurs vêtements.

Face à la maladie, il y avait différentes manières de réagir : certains, rapporte Boccace, choisissaient de s’isoler et de vivre des plaisirs qu’ils pouvaient s’accorder. D’autres, dit-il, préféraient boire et rire en se moquant de ce qui arrivait. Il n’y avait plus de lois, et les hommes politiques étaient morts ou malades. La gestion des corps constituait également une problématique particulière : les cercueils contenaient plusieurs corps, de sorte que les cérémonies funéraires ne purent pas avoir lieu comme d’habitude.

Dans ce texte, Boccace nous donne une description frappante de la maladie, proche de celle de Guy de Chauliac : il montre l’abandon des malades et l’éclatement des liens sociaux, ainsi que l’aspect anarchique de la gestion de la crise. C’est dans ce contexte que dix personnes, sept femmes et trois hommes nobles, fuient vers la campagne. Elle représente une échappatoire face au chaos ambiant. Pour s’occuper, à tour de rôle, ils se racontent des nouvelles. Le Décaméron est ainsi une suite de cent nouvelles (dix par jour, durant dix jours) présentant le quotidien sous un jour à la fois amusant et amusé. En somme, l’art et la littérature sont une manière de répondre au chaos environnant.

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