La peste du 1346-1353 vue par Gui de Chauliac : entre description des signes cliniques et astrologie

En 1346, le royaume de France vient de perdre une bataille décisive face aux anglais lors de la bataille de Crécy : il s’agissait de la première bataille de la Guerre de Cent Ans (1337-1453). Mais une autre menace arrive sur le pays : il s’agit de la peste noire qui vient d’arriver en Crimée et qui va rapidement arriver en Europe. Des épidémies comme la lèpre, la variole, le paludisme… sont connues depuis longtemps et les individus savent vivre avec, mais la peste avait disparu depuis le VIIIe siècle avec la fin de la peste de Justinien et, comme on le sait, elle a eu des conséquences désastreuses sur un plan démographique, économique et sanitaire.

En 1363, le médecin du pape, Gui de Chauliac (1300-1368) donne une description de la maladie dans sa Grande chirurgie lorsqu’il aborde le traitement des abcès internes. Il explique que le début de l’épidémie eut lieu en Avignon en janvier 1348 et dura 7 mois. Il distingue la peste bubonique de la peste pulmonaire :

Elle fut (la peste) de deux sortes : la première dura deux mois, avec fièvre continue et crachement de sang ; et on en mourait en trois jours. La seconde fut tout le reste du temps, aussi avec fièvre continue, abcès et charbons aux parties externes, principalement aux aisselles et aux aines : et on en mourait dans les cinq jours. Elle fut de si grande contagion – spécialement celle qui était avec des crachements de sang – que non seulement en séjournant [ensemble], mais aussi en se regardant, l’un la prenait de l’autre, et tant, que les gens mouraient sans serviteur et étaient ensevelis sans prêtre. Le père ne visitait pas son fils, ni le fils sont père : la charité était morte et l’espérance abattue. (cité in Bove, 2020, pp. 321-322)

Lorsque Gui de Chauliac écrit la Grande chirurgie, la peste est finie depuis presque 10 ans, mais elle a frappé l’ensemble du territoire et a laissé des séquelles importantes, en particulier pour ceux qui ont voulu aider les malades :

La proximité avec une puce infectée ou un malade étant le principal facteur de contagion, on s’explique donc que les Cordeliers de Marseille, Carcassonne ou Montpellier en soient victimes à 95 ou 100%, car ils se sont portés au secours des malades (Id., p. 325).

Face à un tel événement, certains comme Gui de Chauliac s’isolent pour être protégés : à l’époque, les mesures de quarantaine n’existaient pas – il faut attendre 1383 à Marseille pour isoler les bateaux ou 1400-1410 à Lille pour ne plus enterrer les pestiférés dans les églises -. En ce qui concerne la peste, nous savons que le bacille responsable a été identifié à la toute fin du XIXe siècle grâce à la révolution pasteurienne. Au XIVe siècle, c’est donc la sidération et la vue d’une colère divine qui sert d’explication pour cette épidémie. Pourtant, Guy de Chauliac va plus loin que la simple explication théologique : il cherche à comprendre les causes rationnelles de la peste à partir d’une logique… qui nous paraît étrange.

L’universelle agente fut la disposition de certaines conjonctions des plus grandes, de trois corps supérieurs, Saturne, Jupier et Mars, laquelle avait précédé l’an 1345, le 24e jour du mois de mars, au 14e degré du Verseau. Car les plus grandes conjonctions (ainsi que je l’ai dit dans le livre que j’ai fait sur l’astrologie) signifient choses merveilleuses, fortes et terribles, tels les changements de règne, l’avènement de prophètes et les grandes mortalités. Et elles sont disposées selon la nature des signes et l’aspect de ceux selon lesquels se font les conjonctions. Il ne faut donc pas s’étonner si une grande conjonction signifia une merveilleuse et terrible mortalité, car elle ne fut pas seulement des plus grandes mais presque maximale (Id., p. 334-335).

Ce que nous révèle ce passage est que la maladie résulte en partie de l’hygiène, mais également des mouvement des astres. Bien que cela paraisse absurde avec notre regard contemporain, ce passage est en réalité complètement rationnel : les explications de la peste reposent sur des causes d’origine cosmologiques. Or, une des lois du monde est celle de la génération (naissance) et de la corruption (destruction). La génération et la corruption, selon les conceptions de l’époques, sont soumis à l’influence des astres. Or, cette conception est issue d’Aristote pour qui l’univers est l’emboitement de sphères concentriques. Au Moyen-âge, le schéma repose sur les sphères de la terre, des eaux, de l’air, du feu (les 4 éléments du monde sublunaire d’Aristote) et les sphères des planètes (Lune, Mercure, Vénus, Soleil, Mars, Jupiter, Saturne) et sphère des étoiles fixes. On comprend donc comme Gui de Chauliac a pu expliquer l’origine de la peste par l’astrologie.

Gui de Chauliac est donc le premier à avoir distinguer les deux types de peste et il faillit lui-même en être victime. On sait également qu’il eut à soigner Laure de Noves, la muse de Pétrarque – et ancêtre du marquis de Sade – mais il n’y parvint pas. Pétrarque le lui reprochera dans les Invectives contre un médecin. Sa réputation est telle qu’il donnera son nom au CHU de Montpellier – Gui de Chauliac était issu d’une famille de paysans de Lozère et a étudié à la faculté de médecine de Montpellier, qui était la plus grande de son temps en France -.

Source :

Bove B. 1328-1453. Le temps de la guerre de Cent Ans, Folio, 2020

Une réponse à « La peste du 1346-1353 vue par Gui de Chauliac : entre description des signes cliniques et astrologie »

  1. […] publié entre 1349 et 1353, durant la Grande Peste. La Peste Noire, dont nous avons déjà parlé sur ce site, a été une catastrophe pour les peuples. Jean Boccace en a lui-même été témoin, et […]

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