Le désordre et la guerre sociale (100-89)

La période qui suit les consulats de Marius est marquée par un échec du mouvement populaire que le consul voulait porter. Mais un autre conflit, social, portait sur la « question italienne ». Seuls les Romains pouvaient être considérés comme citoyens romains, les peuples conquis par Rome lors de son expansion n’étaient pas considérés comme tels. De fait, les Italiens se trouvaient exclus des affaires publiques, mais ils étaient également exclus de la distribution des terres. Les Gracques avaient bien tenté de réaliser un partage plus équitable des terres, y compris pour les peuples « alliés », mais cette disposition a été abrogée rapidement.

Durant les premières années du Ier siècle avant J-C, un jeune tribun, Livius Drusus, se fit le défenseur des droits entre Italiens et Romains : il avait même recueilli le serment de lier leur sort au sien jusqu’à la victoire de leur cause. Drusus avait un solide appui mais les classes dirigeantes de populations italiennes se voyaient aussi confisquer des terres publiques qu’elles occupaient. Drusus finit par être tué en 91 et l’atmosphère était particulièrement délicate.

On célébrait un jour de jeux publics et le théâtre était rempli de spectateurs, lorsque les Romains égorgèrent un comédien qui jouait sur la scène, sous le prétexte qu’il ne remplissait pas convenablement son rôle. Tout le théâtre se remplissait de trouble et de terreur, lorsque le hasard amena sur la scène un personnage satirique approprié à la circonstance ; il était Latin d’origine et s’appelait Saunion ; c’était un bouffon très habile de son métier ; il excitait le rire non seulement par ses paroles, mais encore par son silence et les différentes poses de son corps ; il y avait d’ailleurs en lui quelque chose de séduisant ; aussi jouissait-il d’une grande réputation dans les théâtre de Rome. Les Picentins, pour priver les Romains du spectacle que venait leur procurer ce facétieux acteur, résolurent de le tuer. Saunion, instruit du sort qui l’attendait, s’avança sur la scène au moment même où venait d’être commis le meurtre du comédien ; et, s’adressant aux spectateurs, il leur dit : « Citoyens spectateurs, les entailles de la victime nous sont favorables ; que le mal qui vient d’arriver se change en bien ! Je ne suis pas Romain, mais je suis tout comme vous sous la verge des licteurs ; je parcours l’Italie et je vais à la chasse des faveurs en faisant rire et en procurant des plaisirs : faites donc grâce à votre hirondelle, à laquelle les dieux permettent de nicher sans danger dans toutes vos maisons ; enfin il n’est pas juste de commettre une action qui vous ferait beaucoup pleurer. » Le bouffon mêla à ses paroles une foules d’autres facéties qui faisaient rire, et il obtint sa grâce de la multitude apaisée (Diodore de Sicile, Bibliothèque historique, fragment du livre 37, cité par Hinard, 2000, pp. 608-609).

On le voit, la période est particulièrement tendue et, avant sa mort, Drusus avait prévenu les consul qu’un complot avait été monté pour les assassiner lors des Féries latines et il y eut un massacre important à Asculum de tout ce qui était romain. Nous sommes en 90 av. J-C et le consul Lucius Julius Caesar III accorde la citoyenneté romaine aux Italiens qui n’ont pas pris part à la guerre sociale.

A Rome, le choc est important et les Sénateurs ne veulent recevoir que les responsables du massacre pour les punir. D’un côté, nous avons donc les gens d’Asculum, qui se revendiquent les porte-paroles de l’Italie et, de l’autre, les Romains, entièrement citoyens. A Rome, le risque d’une Révolte des Italiens est réelle et inquiète, d’autant plus que les Italiens commencent à battre leurs propre monnaie. Comme le précise François Hinard :

Les Italiens prétendaient donc constituer véritablement un Etat, avec ses institutions, sa monnaie et sa diplomatie – dont on verra qu’elle fut active jusqu’en Asie – et, bien sûr, son armée. (Hinard, 2000, p. 613).

Les Italiens ont aussi leur propre armée, ce qui pouvait inquiéter les Romains. Les amis de Drusus sont pourchassés à Rome et les Romains doivent se préparer à une rébellion. Les premiers affrontements entre Romains et Italiens montrent qu’il s’agit bien d’une opération de protection « afin d’éviter que ne s’étende la contagion » (Id, p. 616) et les Romains se protègent des Italiens. Rome est inaccessible et Marius, toujours présent, rassure les Romains face à un risque d’incursion des Italiens. En 89, la guerre sociale prend fin et les Italiens qui tentent de forcer le passage vers Rome sont pris au piège et périssent dans le froid et dans la faim. Comme le précise Orose, cité par F. Hinard :

Quatre mille guerriers italiens, échappés de ce massacres, étaient montés à l’aventure au sommet d’une montagne, en opérant la concentration de leur troupe : accablés et suffoqués par les neiges, ils se raidirent dans une mort tragique. Et de fait, ils apparaissaient, tels qu’ils s’étaient immobilisés, frappés par la terreur qu’ils avaient eue des ennemis, les uns appuyés sur des souches ou des rochers, les autres se penchant sur leurs armes, tous les yeux grands ouverts et montrant les dents à la manière des vivants ; et pour ceux qui les regardaient de loin, rien n’indiquait la mort si ce n’est la longue immobilité que ne peut d’aucune manière supporter la force vitale de l’homme (Orose, Histoires, 6, 18, 19-20, cité par Hinard, 2000, p. 622)

Les Romains sont donc rassurés sur l’Italie et en 88, la guerre sociale est terminée. Pour autant, les ennuis ne sont pas terminés parce qu’une nouvelle menace vient de l’Orient avec le roi Mithridate et un nouveau personnage historique, déjà rencontré, rentre en scène : il s’agit de Sylla qui va devenir consul en 88. Ce personnage historique était au côté de Marius lors de la guerre contre Jugurtha et lors de la guerre contre les Cimbres et les Teutons. Sylla était un aristocrate de vieille souche et un grand diplomate.

Sources :

Hinard F. « Les années noires » in Hinard F. (dir.) Histoire Romaine tome 1, Paris, Fayard, pp. 611-661

4 réponses à « Le désordre et la guerre sociale (100-89) »

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  2. Ne serait-il pas préférable de remplacer le terme « Italiens » par Italique ?

    A l’époque que vous documentez avec tant de précision, l’Italie n’était pas encore constituée.

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    1. Avatar de it's a riddle
      it’s a riddle

      Vous avez raison, mais c’est le terme utilisé par les historiens

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  3. Je comprends. Merci

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