
La philosophie de Baruch Spinoza (1632-1677) est particulièrement difficile à comprendre dans le texte, mais les ouvrages de présentation qui lui sont consacrés permettent d’apprécier la substance de ses écrits sans pour autant être trop techniques. Direction donc l’Ethique, l’ouvrage le plus célèbre du philosophe néerlandais, à la recherche de la béatitude – un thème qui me questionne actuellement pour des raisons personnelles -.
Que nous dit Spinoza dans l’Ethique ? Dans la quatrième partie, à la « Proposition XXI », il écrit :
Nul ne peut avoir le désir de posséder la béatitude, de bien agir et de bien vivre, sans avoir en même temps le désir d’être, d’agir et de vivre, c’est-à-dire d’exister en acte.
Il faut déjà comprendre ici que pour Spinoza, la béatitude n’est pas un dépassement mystique de soi comme on pourrait le trouver chez des auteurs plus axés sur la religion. Thomas d’Aquin, par exemple, a consacré de nombreuses belles pages à la béatitude mais dans une perspective chrétienne (excusez le jugement de valeur).
Pour Spinoza donc, la béatitude revient à vivre le plus humainement possible : d’exister « en acte », et d’être libre dans notre vie. Pour remettre dans le contexte, l’Ethique se compose de cinq parties : la troisième est consacrée aux passions (ou aux affects), la quatrième à la servitude et la cinquième à la libération. Selon Spinoza, nous vivons dans un état de servitude (par rapport à nos affects, au bien et au mal etc.). Mais l’homme cherche constamment la fin de sa servitude, c’est-à-dire à augmenter sa puissance d’être et d’agir. A l’état de servitude, nous sommes soumis à des causes externes malgré notre libre arbitre, le comprendre, c’est faire un pas vers la béatitude, c’est-à-dire se libérer de ces causes externes. Pour être libre, il faut donc comprendre les lois qui entourent notre existence : il est impossible de s’en affranchir, mais il est possible de « vivre avec ».
Accéder à la béatitude consiste donc à vivre aussi humainement qu’il est possible, c’est-à-dire en n’étant plus déterminé par des causes externes, mais en étant cause adéquate de ses actes, et cela par une plus grande connaissance de notre union à Dieu ou à la nature tout entière. (Delassus, 2016, p. 161).
Pour rappel, dans la pensée de Spinoza, Dieu et la Nature sont la même chose. Néanmoins, le désir de béatitude ne revient pas à chercher son salut dans un autre monde : il s’agit de vivre avec les autres en cherchant la vertu pour elle-même, par la « fermeté » et la « générosité » : ces deux affects sont la force notre âme. La fermeté revient à vivre selon notre seule raison et la générosité revient à se lier à d’autres tout en leur venant en aide, toujours par notre seule raison.
Le désir de béatitude est donc le désir de la vie elle-même : on accepte notre condition pour ce qu’elle est, sans rechercher notre salut dans un au-delà dont on ne sait pas s’il existe. C’est pourquoi Spinoza écrit dans la cinquième partie de l’Ethique (proposition XLII) :
La béatitude n’est pas le prix de la vertu, mais la vertu elle-même ; et cet épanouissement n’est pas obtenu par la réduction de nos appétits, mais c’est au contraire cet épanouissement qui rend possible la réduction de nos appétits sensuels.
La béatitude désigne donc la joie continue et souveraine : elle est la vertu elle-même. Dans cette citation, Spinoza explique que la connaissance (les appétits) permet d’atteindre la joie qui est la vertu. La pensée de Spinoza est une « éthique », c’est-à-dire un ensemble de cheminements à atteindre pour trouver la béatitude. Dans cette citation, Spinoza nous montre que la joie rend vertueux et non l’inverse. On pourrait penser que la pensée du philosophe néerlandais se rapproche de celle des stoïciens. Pour ces derniers, la sagesse repose sur la modération de nos jugements pour nous libérer de nos passions. Spinoza montre qu’au contraire, ce qui nous rend plus sage, c’est une connaissance de la nature (ou de Dieu) qui nous unissent à lui. Il n’est donc pas nécessaire de les modérer dans le sens où il faut réfléchir dessus. La volonté n’a aucun pouvoir sur les affects comme pouvaient le penser les stoïciens : pour Epictète, par exemple, pour se détacher de nos craintes, il faut se dire que l’on n’a aucune prise dessus. Chez Spinoza, au contraire, il faut accepter les choses comme elles sont et comprendre leurs règles par la raison. La vertu ne s’oppose donc pas au vice comme on pourrait le penser, mais il s’agit de l’accomplissement d’un chemin intellectuel nous permettant d’agir selon la nécessité de notre nature.
Source :
Delassus E. Spinoza. Connaître en citations, Paris, Ellipses, 2016


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