Francisco de Vitoria et la naissance de l’Ecole de Salamanque

Francisco de Vitoria et la naissance de l’Ecole de Salamanque

Note : ce post fait partie d’une série d’articles consacrés aux débats intellectuels relatifs à la conquête des Indes, pour en savoir plus, voir ici.

L’Ecole de Salamanque, appelée ainsi par les historiens de la pensée économique, est ainsi appelée parce que les contributions économiques réalisées par les scolastiques espagnols du XVIe siècle avait été considérable.

De manière générale, on attribue plutôt les origines de la science économique avec le mercantilisme au XVIIe siècle. Mais les contributions d’auteurs relevant de l’Université de Salamanque ont donné le nom à cette « école », qui, par ailleurs, peut être également qualifiée de « seconde scolastique » (Nemo, 2009). Parmi les principaux auteurs, on peut citer Francisco de Vitoria (v. 1492-1546), Domingo de Soto (1494-1560), Domingo Báñez (1528-1604), Juan de Mariana (1535-1623), Luís de Molina (1535-1600) ou encore, le plus connu d’entre eux, Francisco Suárez (1548-1617). Tous ces auteurs ont été nourris à la pensée thomiste mais le premier que l’on peut considérer comme étant à l’origine de l’Ecole de Salamanque est Francisco de Vitoria.

Sa date de naissance est incertaine mais on peut la situer en 1492 dans le Pays Basque espagnol. Il fait ses études à Paris entre 1509 et 1523 où il suit des cours sur la Somme théologique de Thomas d’Aquin. C’est une nouveauté parce que jusqu’alors, les cours portaient sur le livre des Sentences de Pierre Lombard. Il obtient un doctorat en 1522. Notons que « c’était un humaniste d’une grande érudition et aux lectures infinies, qui admirait Erasme et se liait avec Vivès. Son style était vivant, précis, agréable, et son argumentation faisais appel aux sources bibliques, patristiques et philosophiques » (Barbier, 1966, p. 10).

En 1523, il devient professeur de théologie au studium dominicain de Valladoid, là où, des années plus tard, il y aura une célèbre controverse sur laquelle nous reviendrons. Durant ces années, il dispense des cours sur la Somme théologique de Thomas d’Aquin (Prima Pars et Prima Secundae), des parties portant sur la philosophie politique. En 1526, il devient professeur à l’Université de Salamanque et le restera pendant trente ans. L’Université de Salamanque, créée en 1242, accueillait environ 5000 étudiants et était ouvertes aux idées de la Renaissance et de l’Humanisme, en particulier à Erasme et Vivès. Durant cette période, Vitoria restait attentif aux problématiques de son temps et n’était pas un simple commentateur de Thomas d’Aquin ou d’Aristote. En 1538, par exemple, il était chargé de trouver du blé en période de disette et de donner du pain aux employés (Id, p. 13). Il était également consulté sur des questions de théologie morale : « Ses réponses étaient parfois écrites et il nous reste ainsi quelques-uns de ses avis portant sur la justice des prix, les changes, les opérations bancaires, l’usure… » (p. 13). On lui demandait également son avis sur des problématiques politiques et morales de l’actualité européenne, comme par exemple le divorce d’Henry VIII et on le sollicitait à propos des conflits entre Charles Quint et François Ier qui mettaient en péril l’équilibre de l’Europe. Mais si Vitoria a été redécouvert récemment (au début du XXe siècle), c’est parce qu’il a fait parti des auteurs qui ont posé les bases d’une réflexion sur le droit international. En effet, en 1511, le dominicain Antoine de Montesinos dénonçait les abus des colons à la suite de la découverte du Nouveau-Monde. Il condamnait notamment la mise en esclavage des peuples amérindiens et en 1522, Las Casas prenait la défense des Indiens dans une controverse restée célèbre. La colonisation du Nouveau-Monde était donc un sujet d’actualité sur lequel se déchiraient les intellectuels. En 1512, par exemple, les Lois de Burgos reconnaissaient que les Indiens étaient des hommes libres et ne pouvaient pas subir de mauvais traitements. Mais ces Lois n’ont pas été appliquées et le pape Paul III devait déclarer en 1537 « dans la bulle Sublimis Deus, que les Indiens étaient des hommes comme les autres, qu’ils devaient jouir de leur liberté et de leurs bien et qu’ils ne pouvaient être réduits en esclavage » (Id., p. 14). Vitoria prit position sur ces problèmes à travers différents cours dont la Leçon sur les Indiens et la Leçon sur le Droit de Guerre (1539). Ces deux leçons ont eu un effet retentissant à l’Université de Salamanque, mais également sur le Nouveau-Monde auprès des missionnaires. Les idées de Vitoria ont eu un impact sur la manière de traiter les Indiens et le système d’esclavage fut aboli en 1542-1543 par Charles Quint.

L’un des adversaires de ces idées, Juan Ginès de Sepúlvada (1490-1573), publia un livre, Democrates Alter, revendiquant la supériorité des Espagnols sur les Indiens, « esclaves par nature » (Barbier, 1965, p. 15), mais son livre a été interdit et condamné en 1550-1551. Les idées de Vitoria ont par la suite infusé sur d’autres penseurs : Soto, Bañez, mais aussi plus indirectement deux maîtres du droit international : Suarez (1548-1617) et Grotius (1583-1645). De son côté, Vitoria meurt le 12 août 1546 à 54 ans. Il tomba progressivement dans l’oubli jusqu’en 1926, année où il est reconnu comme le fondateur du droit international à Salamanque. Il est également célébré en Amérique latine, notamment en Argentine, où est créée la Fondation Vitoria-Suarez en 1946.

Les leçons de Francisco de Vitoria se sont déroulées comme suit :

Leçon sur le pouvoir politique (1528) ; Leçon sur l’Homicide (1530) ; Leçon sur le Mariage (1531) ; Deux leçons sur le Pouvoir de l’Eglise (1532-1533) ; Leçon sur le Pouvoir du Pape et du Concile (1534) ; Leçon sur la Croissance de la Charité (1535) ; Leçon sur les Obligations de l’Homme arrivant à l’Âge de Raison (1535) ; Leçon sur la Simonie (1536) ; Leçon sur la Tempérance (1537) ; Leçon sur les Indiens (1539) ; Leçon sur le Droit de Guerre (1539) ; Leçon sur la Magie (1540)

On peut également citer les Commentaires sur la Somme de Théologie de Thomas d’Aquin rédigés entre 1526 et 1540 et la Somme sur les Sacrements de l’Eglise (1541). Nous allons nous intéresser tout particulièrement à la Leçon sur les Indiens et à la Leçon sur le Droit de Guerre prononcés en 1539 pour comprendre comment le fondateur de l’Ecole de Salamanque s’est opposé, sur un plan théorique, à ceux qui voulaient asservir les Indiens.

Sources :

Barbier M.  « Introduction », in Vitoria F. de, Leçons sur les Indiens et sur le droit de guerre, Genève, Droz, 1966, pp. 1-64.

Nemo P. Histoire des idées politiques aux Temps modernes et contemporains, Paris, PUF, 2009

Une réponse à « Francisco de Vitoria et la naissance de l’Ecole de Salamanque »

  1. […] également près de 30 ans après les écrits dénonçant l’encomienda. Francisco de Vitoria, nous l’avons vu, était un philosophe et théologien engagé dans les débats intellectuels de son…. Au tout début de sa leçon, il propose un commentaire d’un extrait de l’Evangile de St […]

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