Une théorie de la musique durant le haut Moyen Âge : le Traité de la musique de Boèce

  1. Boèce (480-524)
  2. La musique est accessible à n’importe qui
  3. Une typologie des formes de musique
  4. Source

Boèce (480-524)

Boèce (v.480-524) est un philosophe et homme politique latin dont l’ouvrage le plus célèbre est la Consolation de Philosophie, rédigée l’année de sa mort. Ce best-seller du Moyen Âge n’est pourtant pas le seul ouvrage rédigé par cet esprit universel. Aux côtés de traités théologiques, il a également rédigé des traités consacrés au quadrivium mathématique : arithmétique, géométrique, musique et astronomie, ainsi que des traités logiques. Le traité consacré à la musique, De institutione musica, rédigé vers 510, donne une approche philosophique originale de la musique.

La musique est accessible à n’importe qui

D’abord, nous dit Boèce, la vue est propre à tous les animaux mais le son causé par la musique ne peut être distingué que par les humains. Les oreilles, en effet :

Ont le pouvoir de capter les sons, afin que l’on puisse non seulement en juger et en identifier les différences, mais aussi pour en jouir lorsque les modes sont agréables et bien agences – ou, au contraire, en souffrir lorsque, disperses et incohérents, ils agressent l’ouïe (Boèce, 2004, p. 21).

On ne peut que lui donner raison : écouter Magma par exemple, est insupportable parce que les sons sont complètement désordonnés et n’ont aucun rapport les uns avec les autres. A l’inverse, écouter une musique qui respecte un rythme et des harmonies est agréable à l’oreille. De plus, si l’on reste dans le principe du quadrivium (arithmétique, géométrie, musique, astronomie), la musique est la seule discipline qui soit accessible à n’importe quel humain puisque l’on peut apprécier un son sans pour autant en avoir une connaissance théorique.

Rien n’est plus propre a la condition humaine que de se détendre a l’audition de modes harmonieux et de se raidir a celles de leurs contraires. Cela ne tient pas a l’état de tel ou tel individu, a son niveau d’études ou a son âge. En vérité, cela se répand quel que soit le degré d’éducation. Les enfants, les jeunes gens et même les vieillards sont naturellement touchés par les modes musicaux, grâce a une sorte de disposition spontanée, de sorte qu’aucune génération n’est insensible au charme d’une douce mélodie (Id, p. 21-23).

Apprécier la musique est donc quelque chose d’universel chez l’humain. Boèce va même plus loin en montrant que les différents peuples ont des manières différentes d’apprécier la musique et les rythmes : en ce sens, il formule une constatation quasiment sociologique ou ethnologique lorsqu’il précise :

les modes musicaux ont été désignés par des noms de peuples, comme le mode « lydien » et « phrygien » – en effet, comme si le mode tirait son nom du peuple qui y prend plaisir. Or un peuple se félicite de la ressemblance de ses mœurs avec ses modes (Id, p. 23).

Prenons par exemple le chant inuit, celui-ci peut nous sembler particulièrement étrange mais il correspond bien à un peuple défini :

De plus, si le fait d’apprécier la musique est universel, on peut dire avec Boèce que la musique « adoucit les mœurs » :

De fait, on sait que bien des fois le chant a réprimé les colères, qu’il a opéré nombre d’admirables résultats sur les affections des corps ou des âmes (Id, p. 27).

De même, à la guerre, la musique peut servir à encourager les troupes :

N’est-il pas évident qu’à la guerre, les âmes des combattants sont enflammées par le son des trompettes? S’il est parfaitement exact qu’un homme peut passer d’un état d’esprit paisible à la fureur et à la colère, nul doute qu’un mode plus tempéré peut affaiblir la colère ou l’excès de désir d’une âme troublée (Id, p. 31).

Autrement dit, la musique a un effet sur notre humeur – si nous le savons depuis que nous sommes nés, il est intéressant de le lire chez un philosophe du Ve siècle après J-C – qui reprend au passage ce qu’ont pu écrire ses prédécesseurs tels que Platon ou les pythagoriciens.

Une typologie des formes de musique

Boèce distingue trois types de musique qu’il appelle :

– La musique du monde
– La musique de l’homme
– La musique instrumentale

La musique du monde désigne la musique du ciel, que l’on ne peut entendre, mais qui repose sur l’harmonie céleste.

les courses des étoiles sont unies par une cohésion d’une harmonie telle qu’il ne soit possible de concevoir rien d’aussi parfaitement ajointe, ni d’aussi uni. Elles s’élèvent les unes plus haut, les autres plus bas, et elles évoluent toutes avec une égale énergie : ainsi l’ordre raisonne de leurs courses est réglé par des inégalités différenciées. Il s’ensuit que l’ordre raisonne de la modulation ne peut être absent de cette révolution céleste (Id, p. 33).

Cette conception peut sembler caduque dans le sens où les étoiles ne se meuvent pas et où le son n’existe pas dans le vide. Mais il faut se remettre dans le contexte : selon les pythagoriciens, l’univers repose sur l’harmonie. Il est donc cohérent que les mouvements célestes (du moins perçus comme tels) produisent des sons, bien qu’ils soient imperceptibles par les humains. Boèce a une approche tout à fait originale en expliquant que la musique du monde a un effet sur les activités humaines :

Or toute cette diversité donne naissance a la variété, à la fois des saisons et des récoltes, tout en réalisant néanmoins l’unité d’ensemble de l’année (Id, p. 33).

De manière assez poétique, il explique que la musique du monde est à l’origine des saisons :

Ce que l’hiver contracte, le printemps le relâche, l’été le brûle, l’automne le mûrit et les saisons, a tour de rôle, portent leurs propres fruits ou aident les autres à présenter les leurs (Id, p. 33-35).

La musique humaine est le second type de musique identifié par Boèce : il s’agit de la musique qui unit l’âme au corps :

Qu’y a-t-il d’autre qui unisse entre eux les éléments du corps ou qui en maintienne les parties selon un ordre soigneusement établi ? (Id, p. 35)

Bien que ce passage soit relativement court, on peut donner raison à Boèce si l’on part du principe qu’écouter de la musique nous fait danser (corps) et nous détend (âme).

Enfin, le troisième type de musique est la musique instrumentale, celle qui est pratiquée sur des instruments :

Elle est réglée soit par la tension – des boyaux, par exemple -, soit par le souffle – comme sur 1′ aulos ou ces instruments qui sont activés par l’eau -, ou par une percussion – comme ceux qui sont constitués d’une cavité en bronze que l’on frappe. Et c’est ainsi que l’on obtient des sons différents (Id, p. 35).

Source

Boèce, Traité de la musique [510], Turnhout, Brepols, 2004

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