Spinoza, défenseur de la liberté de pensée

La philosophie de Baruch Spinoza (1622-1677) représente un prélude à la philosophie des Lumières : auteur néerlandais d’origine juive, il a eu une influence considérable sur la pensée du XVIIIe siècle et a fait l’objet d’une sorte d’excommunication à vie en 1656. A titre d’illustration, son Traité théologico-politique est censuré et l’Ethique (1677) est sorti à titre posthume.

Dans le Traité théologicico-politique, publié anonymement en 1670, il développe une défense de la philosophie : l’idée est claire, la liberté de philosopher peut être mise au service de la foi et ne met pas en péril la sécurité de l’Etat. Autrement dit, Spinoza défend une philosophie de la liberté de conscience et d’expression. Son originalité est de montrer que la pluralité des opinions résulte d’un ordre nécessaire des passions et des complexions individuelles (Sadda-Gendron, 2017, p. 149). Autrement dit, la tolérance – terme qui n’est pas utilisé par Spinoza – est nécessaire dans le cadre du droit naturel.

Pour rappel, le droit naturel repose sur deux propriétés de la nature humaine : la liberté et la raison. Le droit naturel représente la norme de référence à partir de laquelle repose toute association humaine (communauté, Cité, etc.), puisque comme le montrait Aristote, « l’homme est un animal politique ».

Dans ce cadre, pour Spinoza, la liberté de pensée est consubstantielle au droit naturel et ne saurait être gouvernée par un prince puisqu’elle est intrinsèque à la nature humaine et à ses passions. Dans la pensée de Spinoza, la parole est naturellement libre puisqu’elle découle de nos passions sur laquelle personne ne peut avoir de prise. Spinoza montre également que c’est dans l’intérêt du souverain de gouverner la liberté de penser, mais cela observe une certaines limites puisqu’un gouvernement violent, en prétendant gouverner les âmes et les paroles des sujets (Id, p. 151), s’expose à un risque de révolte. Garantir la liberté de penser est donc dans l’intérêt du souverain. Néanmoins, la liberté d’expression observe une limite dans la pensée de Spinoza qui distingue l’expression de l’action. Si l’expression est libre, dans la mesure où elle ne conduit pas à des séditions, l’action peut être limitée puisqu’elle peut revenir à aller à l’encontre des lois. La liberté d’expression est donc modérée puisqu’elle ne doit pas contrevenir à la paix. Spinoza va plus loin en distinguant les paroles des pensées : contraindre les hommes à ne pas dire ce qu’ils pensent, c’est ériger la mauvaise foi en politique. Or, la liberté d’expression a aussi une fonction de vertu : elle permet aux hommes de développer leur entendement par une confrontation des opinions, et par extension de réaliser les fins de l’Etat, institué aussi pour que les hommes puissent user d’une raison libre (Id, p. 152). Spinoza est donc un penseur de la démocratie.

Ainsi, comme l’exprime Spinoza dans le Traité théologico-politique :

S’il était aussi facile de commander aux âmes qu’aux langues, il n’y aurait aucun souverain qui ne régnât en sécurité et il n’y aurait pas de gouvernement violent, car chacun vivrait selon la complexion des détenteurs du pouvoir et ne jugerait que d’après leurs décrets du vrai ou du faux, du bien ou du mal, du juste ou de l’inique (Spinoza, 2017, cité p. 152).

Or, cela est impossible en raison du droit naturel qu’il est impossible d’abandonner. Le souverain ne peut contraindre les humains à penser comme lui le souhaite car cela contrevient à la nature humaine. Au contraire, la liberté de pensée et d’expression est nécessaire puisque, comme l’écrit Spinoza :

La fin de l’Etat n’est pas de faire passer les hommes de la condition d’être raisonnables à celle de bêtes brutes ou d’automates, mais au contraire il est institué pour que leur âme et leur corps s’acquittent en sûreté de toutes leurs fonctions, pour qu’eux-mêmes usent d’une Raison libre, pour qu’ils ne supportent point de haine, de colère ou de ruse, pour qu’ils se supportent sans malveillance les uns les autres (Id, p. 155).

Autrement dit, la liberté de penser est nécessaire et, par extension, la tolérance envers les idées des uns et des autres est une garante de la stabilité de l’Etat.

Sources :

Saada-Gendron J., La tolérance, Paris, GF Flammarion, 2017

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