
- Introduction
- Le Cynisme, un mode de vie ?
- Cratès, un philosophe moins connu que Diogène
- Cynisme et politique
- L’ascèse : la méthode du philosophe cynique
- Le Cynisme sous l’Empire Romain
- Le Cynisme et la Modernité
- Sources :
Introduction
Les Cyniques doivent le nom au terme de « chien » en grec ancien. Selon la tradition, rapportée par Diogène Laërce, le premier des cyniques est Antisthène (445-365 av. J-C). Le plus connu des Cyniques est Diogène de Sinope, mais cette école a duré quasiment 1000 ans, allant jusqu’à fréquenter les premiers chrétiens et même partager certaines de leurs valeurs. Julien l’Empereur (331-363 de notre ère) a même écrit un pamphlet contre eux. Mais qui étaient ces philosophes et quel est leur enseignement ?
Le Cynisme, un mode de vie ?
Au-delà d’un mode de vie, le Cynisme est bien une philosophie à part entière. Pour Antisthène, par exemple, « la vertu peut s’enseigner ; elle relève des actes ; fondée sur l’effort qui est un bien, elle se révèle une arme imprenable ; c’est elle la vraie richesse ; elle n’a rien de commun avec ces biens extérieurs qui font courir les hommes au-delà de toute raison » (Paquet, 1992, p. 5). Autrement dit, la philosophie cynique commence par un précepte moral simple mais puissant : il s’agit de renoncer aux biens extérieurs pour être vertueux. Mais cette conception des choses n’est pas si originale : les stoïciens (héritiers indirects des Cyniques) le diront aussi, de même que les épicuriens. Alors qu’est-ce qui fait la force du Cynisme ?
Le cynique a pour vocation de déranger l’ordre établi : la vie de Diogène de Sinope en est un exemple parfait et leur objectif est de renverser les valeurs établies. A l’époque d’Antisthène et de Diogène, les principaux penseurs étaient Socrate, Platon et Aristote. Diogène et ses compagnons ont amené le désordre parmi les systèmes bien établis de la Cité idéale dressée par Platon par exemple. Platon qualifiait par exemple Diogène de « Socrate devenu fou » selon Diogène Laërce, le principal biographe des philosophes antiques. Le cynisme a cette capacité à déranger parce qu’il est sérieux « tout en rejetant le sérieux traditionnel » (Id, p. 8). L’idée principale de Diogène de Sinope est celle de la « falsification de la monnaie » : il s’agit de « falsifier la morale, la religion, la politique », autrement dit, toutes les valeurs établies qui lui sont communes. Mais le cynisme est aussi une philosophie morale qui prône l’apathie : l’homme est en bas de la hiérarchie, les animaux sont supérieurs et les dieux sont au sommet. C’est une lecture du monde qui n’est pas anthropocentrée comme pouvaient l’être les philosophies morales de Socrate ou de Platon. Pour Diogène, si l’homme est malheureux, c’est parce qu’il désire ce qu’il n’a pas et qu’il a toujours peur tout au long de son existence. Pour Diogène, le bonheur revient à être libéré de toutes ces contraintes et de vivre dans l’apathie : « un état de sérénité totale qui permet d’affronter l’adversité sans éprouver le moindre trouble » (Id, p. 9). Il existe deux modèles à suivre pour Diogène : celui de la divinité et celui de l’animal. La divinité n’a pas de besoins et l’animal en a très peu, il s’agit uniquement de besoins primaires. C’est la raison pour laquelle, selon la légende, il vivait dans un tonneau et se promenait quasiment nu. Le cynisme est donc une philosophie de l’autarcie, contraire à toutes les valeurs en cours dans la société grecque qui lui est contemporaine. Pouvoir se suffire à soi-même est la condition de la liberté. La morale des cyniques, notamment de Diogène, repose donc sur ces trois mots : apathie, autarcie et liberté.
Le renversement des valeurs prôné par Diogène revient à se séparer de tous ses biens matériels pour être heureux, mais il faut aussi montrer que l’on est capable de répondre à tous ses besoins de manière autonome (autarcie). Ce qui fait de l’homme qu’il est malheureux, toujours selon Diogène, est de ne pas savoir utiliser sa raison et d’être le jouet de ses passions (colère, joie, tristesse…) et il invite à s’en affranchir par la provocation.
Cratès, un philosophe moins connu que Diogène
L’Ecole Cynique regorge de personnages tout aussi insolites les uns que les autres : si Diogène est le plus célèbre d’entre eux, il est lui-même l’élève d’Antisthène et a eu des disciples plus ou moins directs. Parmi eux, Cratès de Thèbes (365-285 av. J-C) est un exemple original de la manière dont le Cynisme se vivait au quotidien.
La principale source dont nous disposons sur la vie de Cratès est issue du livre VI du livre de Diogène Laërce : Vie, doctrines et sentences des philosophes illustres.
Cratès faisait partie des hommes riches de Grèce : contrairement à d’autres, comme Diogène, ce n’était pas un esclave ou un pauvre. Mais en assistant à une pièce de théâtre, il devient adepte du Cynisme et donna ses biens. Une première version explique qu’il donna sa fortune à ses concitoyens, une autre raconte que Diogène encouragea Cratès a laisser ses terres et jeter son argent à la mer.
Il a fait de la philosophie cynique un mode de vie, en portant un manteau épais en été et des haillons en hiver. Lorsque ses parents venaient le voir pour l’encourager à renoncer au Cynisme, il les chassait à coups de bâtons. Il rentrait également dans les habitations en crochetant les serrures pour critiquer les individus.
Cratès se marie avec Hipparchia et cet événemen est mal accepté par les parents d’Hipparchia qui cherchent à la faire changer d’avis mais elle menace de se suicider si elle est éloignée de Cratès. Les parents invitent alors Cratès pour l’encourager à quitter Hipparchia, mais ce dernier n’arrivant pas à la convaincre, il se dénuda devant elle et l’invita à choisir parce qu’il ne possédait que cela. Elle le choisit et ils eurent un enfant, Pasiclès.
Lorsque ce dernier devient adulte, il l’emmène chez des prostituées pour lui montrer que « l’amour des femmes mariées est tragique, et cause d’exil et de meurtre : l’amour des prostituées est plaisant au contraire, car de la débauche et de l’ivresse, il n’engendre que la folie » (Diogène Laërce, Vie de Cratès). Mais avec les prostituées, Cratès a également un rapport particulier avec les prostituées parce qu’il les pourchasse pour se faire insulter et apprendre à accepter les insultes.
Cratès était également très laid et lorsqu’il se dénudait pour aller au gymnase, les autres riaient de lui. Il disait alors : « Courage, Cratès, aie confiance en tes yeux et en tout ton corps, car bientôt tu verras tous ces gens qui se moquent de toi en proie à la maladie, alors ils t’envieront et blâmeront leur paresse« .
Cynisme et politique
Sur un plan plus politique, la philosophie cynique est une philosophie du cosmopolitisme : il ne faut avoir ni cité, ni maison, et se moquer des puissants (comme il le fait avec la célèbre anecdote où il demande à Alexandre le Grand de s’écarter du soleil). D’ailleurs, toujours sur un plan politique, Diogène était décrit comme un falsificateur de monnaie : il ne lui reconnaissait aucune valeur parce qu’il ne reconnaissait aucune valeur à la loi. Sur la sphère religieuse, le cynisme est une philosophie agnostique : les dieux n’ont aucune valeur ni aucune place. Les philosophes cyniques rejetaient les cultes et tout ce qui relève du sacré. Le philosophe Cynique ne croit pas en la transcendance et c’est la raison pour laquelle il rejette la religion.
L’ascèse : la méthode du philosophe cynique
La philosophie cynique repose sur la méthode de l’ascèse : le système sur lequel Antisthène et ses disciples ont médité est celui de rejeter des questions insolubles. L’ascèse en question n’est pas une ascèse spirituelle du sage stoïcien mais bien une ascèse corporelle particulièrement exigeante. Pour l’anecdote, Diogène se roulait dans le sable brûlant l’été et se promenait quasiment nu en hiver en allant embrasser les statues enneigées pour mettre son corps à l’épreuve. La philosophie cynique est donc plus un mode de vie qu’un exercice d’abstraction comme peuvent l’être d’autres courants philosophiques. A celui qui ne possède rien, on ne peut rien enlever. Il s’agit également de résister au Destin en ne possédant rien. En ce sens, on comprend les relations qu’ont pu avoir les premiers chrétiens et les derniers cyniques. L’ascèse cynique comporte deux registres : un retour à la nature (fuir la civilisation) et dépasser la nature : être plus fort qu’elle grâce à la liberté.
L’enseignement des cyniques ne passait pas par la création d’écoles comme ont pu le faire Platon, Aristote ou même les stoïciens : il s’agissait d’être dans l’action permanente pour transmettre son message. Dans le cynisme, après tout, les valeurs n’existent plus. L’objectif de Diogène et de ses successeurs n’était pas de choquer pour choquer, mais de transmettre son message philosophique. Il aurait d’ailleurs rédigé une République qui est désormais perdue.
Le Cynisme sous l’Empire Romain
Au-delà de la Grèce antique, le Cynisme a perduré pendant l’époque de l’Empire Romain : tout comme Diogène, les cyniques se retrouvaient chez les citoyens de basse condition et portaient les mêmes valeurs. Cependant, il y a aussi eu des charlatans qui profitaient du cynisme pour gagner de l’argent avec. Le cynisme était moqué et dénoncé, et c’est devenu une philosophie populaire. Au côté du cynisme populaire, il y a également eu un cynisme lettré dont les œuvres sont désormais perdues. A côté du cynisme, l’Empire romain a vu d’autres écoles philosophiques dont le stoïcisme. Le fondateur de ce courant de pensée, Zénon, était lui-même l’élève de Cratès, un Cynique.
Le Cynisme et la Modernité
Plus près de nous, le Cynisme a continué à avoir ses disciples, notamment Montaigne qui, dans les Essais, fait souvent référence à Diogène. Dans sa pièce de théâtre Timon d’Athènes, William Shakespeare fait intervenir Apemantus, une incarnation du philosophe cynique. Un autre philosophe des Lumières allemandes met Diogène en scène comme citoyen du monde dans un écrit (Wieland). Pendant la Révolution française, la figure de Diogène est sous-jacente à celle de Rousseau, comme défenseur de la nature et de la franchise. De même, dans le Neveu de Rameau, Diderot fait discuter deux personnages inspirés par Diogène.
Si le Cynisme s’est éteint avec la fin de l’Empire Romain, on en trouve toujours des traces aujourd’hui dans les pensées contestataires et anarchistes, même si on est bien loin de Diogène se baladant et se masturbant dans les rues…
Sources :
Paquet L., Les Cyniques Grecs, Fragments et témoignages, Paris, Le Livre de Poche, 1992
Goulet-Cazé M-O, Le cynisme, une philosophie antique, Paris, Vrin, 2017


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