
« Vous ignorez, ce me semble, Romains, que ce n’est point sur le choix de la guerre ou de la paix que vous avez à délibérer; Philippe [Le roi de Macédoine] ne vous a point laissé cette alternative, puisqu’il fait d’immenses préparatifs sur terre et sur mer pour vous combattre. Mais il s’agit de savoir si vous transporterez vos légions en Macédoine, ou si vous attendrez l’ennemi en Italie. Vous sentez la différence des deux partis, car elle est assez grande, et d’ailleurs la dernière guerre punique est là pour vous l’apprendre. Peut-on douter en effet que si nous eussions, lorsque Sagonte assiégée fit un appel à notre bonne foi, volé à son secours aussi promptement que nos pères le firent pour les Mamertins, tout le poids de la guerre ne fût retombé sur l’Espagne, tandis que nos délais l’attirèrent sur l’Italie, où nous avons éprouvé de si cruels désastres? N’est-il pas avéré qu’au moment où Philippe allait passer en Italie pour remplir les engagements contractés avec Hannibal de vive voix et par écrit, c’est en envoyant Laevinus avec une flotte porter la guerre dans ses états, que nous sommes parvenus à la retenir en Macédoine? Ce que nous avons fait alors, quand un ennemi tel qu’Hannibal était au coeur de l’Italie, pouvons-nous, aujourd’hui que l’Italie est délivrée d’Hannibal, que Carthage est vaincue, hésiter à le faire? Laissons Athènes succomber comme nous avons laissé jadis Sagonte succomber sous les coups d’Hannibal; donnons à Philippe cette preuve de notre indolence. Eh bien! il ne lui faudra pas cinq mois, comme il les fallut à Hannibal pour venir de Sagonte, mais cinq jours pour que sa flotte passe de Corinthe en Italie. Philippe ne vaut pas Hannibal, les Macédoniens sont au-dessous des Carthaginois, je le sais; mais vous admettrez au moins la comparaison avec Pyrrhus. Que dis-je, avec Pyrrhus? Quelle différence d’homme à homme, de nation à nation! L’Épire a toujours été une dépendance peu importante du royaume de Macédoine; elle l’est encore aujourd’hui. […] Ce ne sont pas seulement les Tarentins, ni cette partie de l’Italie nommée la Grande-Grèce qui nous ont trahis alors, gagnés à l’ennemi vous pourriez le croire, par une similitude de langage et de nom; la Lucanie, le Bruttium et le Samnium se sont levés contre nous. Ces populations, si Philippe vient à passer en Italie, resteront-elles tranquilles et fidèles à leurs serments? Le croyez- vous? Elles nous ont en effet si bien soutenus plus tard pendant la guerre punique! Non, jamais ces peuples, tant qu’ils auront un chef pour les rallier, ne cesseront de nous trahir. Si vous aviez reculé devant la nécessité de passer en Afrique, aujourd’hui l’Italie aurait encore à combattre Hannibal et les Carthaginois. Faisons de la Macédoine plutôt que de l’Italie le théâtre de la guerre. Que nos ennemis voient leurs villes et leurs campagnes mises à feu et à sang. Nous en avons l’expérience: c’est au dehors et non dans la patrie, que nos armes sont le plus heureuses et le plus redoutables. Allez aux voix, suivez les inspirations des dieux et ratifiez la décision des sénateurs. Voilà ce que vous conseille votre consul, et, avec lui, les dieux immortels, ces dieux qui ont accueilli mes sacrifices et mes prières, quand je leur ai demandé que cette guerre eût pour moi, pour le sénat et le peuple, pour les alliés et le nom latin, pour nos flottes et nos armées, une bonne et heureuse issue, et qui m’ont présagé toutes sortes de succès et de prospérités. » (Tite Live, Histoire Romaine, Livre XXXI, 7, 2-14) [En ligne]


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