Puisque je citais un texte de Paul Broca récemment (icii), je me suis dit qu’il serait intéressant de vous faire découvrir l’histoire qui l’a rendu célèbre. Je m’appuie pour cela sur l’excellent ouvrage de Luc Perino intitulé Patients zéro. Il s’agit d’une histoire de la médecine par le biais du hasard. La découverte de l’aire de Broca est, justement, liée à l’intuition et au hasard.
Nous sommes au XIXe siècle : Louis Victor Leborgne, est formier, métier qui consiste à façonner des moules en bois pour les fabricants de chapeaux ou de chaussures. Né vers 1810, est hospitalisé depuis plus de vingt ans à l’hôpital de Bicêtre à Paris. Il a trente ans et est surnommé « Tan » par le personnel médical, c’est la seule onomatopée qu’il soit capable de prononcer – un peu comme Hodor dans Game of Thrones -. Il a été hospitalisé suite à une crise d’épilepsiee et a été admis dans une unité psychiatrique.
Il ne savait dire que « Tan » mais, contrairement aux autres, Tan semble comprendre ce qui l’entoure et vouloir intéragir avec autrui. Douze ans après son internement, Tan a commencé à être paralysé du côté droit a développé ensuite une gangrène…
L’anthropologue Paul Broca le fait transférer dans son service pour l’étudier. Comme l’explique Luc Perino, « l’alliance entre l’anthropologie et le bistouri peut nous étonner aujourd’hui. A cette époque, les cerveaux et les mains se facçonnaient de concert, l’agilité cognifitive et l’habileté manuelle se complétaient et se renforçaient mutuellement » (Perino, 2021, p. 10), comme on l’a vu par ailleurs.
La spécialisation de Broca est la moelle osseuse et la moelle épinière, les malformations congénitales, la gangrène, la syphilis et les trépanations au néolithique. C’est un vrai touche-à-tout qui a découvert que certains cancers pouvaient se disséminer par le sang, il a également découvert l’origine musculaire des myopathies, mais il ne s’intéresse pas encore à ce qui va le rendre le plus célèbre : le cerveau et la parole. D’ailleurs, un article (en ligne) présente les champs d’intérêt de Broca qui étaient très variés.
Il reçoit donc Tan Tan dans son service mais ne parvient pas à le soigner et ce dernier meurt le 17 avril 1861 à 51 ans. Malgré le décès de son patient, Broca cherche par autopsie pourquoi Tan Tan était dans cet état-là. Le cerveau de Tan Tan est disséqué et Broca y trouve une lésion syphilitique du lobe frontal gauche au sein de la troisième circonvolution : il fait le lien avec son impossibilité à parler. Broca est convaincu d’avoir trouvé l’aire du cerveau qui permet la parole. Il présente sa découverte à la Société d’anthropologie de Paris qu’il a lui-même créée et son nom rentre dans l’histoire de la pensée médicale sous le nom d’aire de Broca.
Broca appellé « aphémie » la trouble de Tan Tan et décrit ainsi les patients qui en sont atteints :
Ce qui a péri en eux, ce n’est donc pas la faculté du langage, ce n’est pas la mémoire des mots, ce n’est pas non plus l’action des nerfs et des muscles de la phonation et de l’articulation, c’est autre chose, c’est une faculté particulière considérée par M. Bouillaud comme la faculté de coordonner les mouvements propres au langage articulé, ou plus simplement comme la faculté du langage articulé, puisque sans elle il n’y a pas d’articulation possible (Broca, 1861, p.333 [En ligne])
Aujourd’hui, on va plutôt parler d’aphasie puisque de nouveaux troubles liés aux langages seront découverts dans les décennies qui suivent. Mais Broca est véritablement le premier à avoir pu donner une explication au mal dont souffrait Tan Tan.
Pour en savoir plus sur l’aphasie, le MSD en donne une description actualisée et très précise (ici) : si vous faites ctrl-F, vous trouverez évidemment le nom de Broca mais aussi celui de Wernicke qui a complété les travaux de Broca.
Source :
Perino L. Patients zéro. Histoires inversées de la médecine, Paris, La Découverte, 2021



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