L’évolution des pratiques de lecture depuis les années 1960 d’après les enquêtes officielles

Les Français lisent-ils plus ou moins qu’avant ? Comment peut-on le savoir ?


La lecture est une pratique culturelle qui concerne l’ensemble de la société. Depuis les années 1960, ces pratiques font l’objet d’études de militants pour la diffusion de la lecture : il s’agit de Joffre Dumazedier, de Jean Hassenforder ou encore de Robert Escarpit.

Ils sont également à l’origine d’enquêtes quantitatives sur les pratiques de lecture. Robert Escarpit, par exemple, a réalisé une enquête auprès de jeunes recrues du centre militaire de Limoges sur leurs pratiques de lectures (livres, revues), leurs préférences, motivations et moyens d’accès au livre. Il s’est intéressé à leurs préférences, leurs motivations, leur âge, leur lieu de résidence…


A partir de ces variables, il est ressorti que la lecture est plus importante chez les jeunes originaires du monde citadin que chez ceux issus du monde rural. Il est également apparu que les pratiques de lectures sont liées aux niveaux d’instruction et à la position du père dans la hiérarchie socio-professionnelle. Les ouvriers lisent plutôt les rubriques sportives des quotidiens, s’intéressent aux journaux sportifs. Les étudiants, ingénieurs, enseignants… sont plutôt intéressés par les ouvrages de science, mes romans de sciences fiction… Pour 30% de non-diplômés, « lire, c’est perdre son temps » (Escarpit, Robine, Guillemot, 1966).

On retrouve ici, en partie, des constats proches de ceux réalisés par le sociologue Pierre Bourdieu et son équipe au même moment dans leurs recherches sur les pratiques culturelles. L’ensemble de ceux qui lisent le font pour se documenter, pour s’instruire ou pour se distraire. Les enquêtes nationales réalisées par l’INSEE en 1967 et 1987 (Le comportement de loisirs des Français) et par le ministère de la Culture (Les pratiques culturelles des français, en 1973, 1981, 1989, 1997, 2008 et 2018).

Critiques méthodologiques


Ces enquêtes permettent de suivre l’évolution de la consommation de livres, le nombre de livres sur une période déterminée. Il faut prendre ces données avec une certaine prudence puisqu’elles indiquent davantage les représentations de la lecture chez les enquêtés que leurs pratiques réelles. D’autre part, ces enquêtes ne rendent pas compte des différentes manières de lire, du goût du lire… alors que la pratique de la lecture a des formes multiples et s’intègre dans des contextes biographiques spécifiques.

En fait, on peut interpréter ces données comme une manière d’exprimer sa conformité à des normes culturelles en vigueur. Dans les années 1960, les catégories modestes auraient pu avoir tendance à surestimer le nombre de livre lus. Chez les catégories diplômées, la lecture renvoie plutôt à la lecture de textes littéraires, ce qui conduit à ne pas désigner comme lectures des travaux de recherches, lectures réalisées dans un cadre professionnel. Depuis les années 1990, on observe que les lecteurs assidus tendraient à surestimer leurs pratiques de lecture.

Jusque dans les années 1970, les enquêtes portent surtout sur la lecture de livres. Le livre est vu comme un moyen d’accès à la culture savante, aux connaissances, et est vu comme étant le moyen d’offrir aux catégories sociales modestes la perspective d’une forme d’ascension sociale. Pourtant, on ne peut pas réduire les pratiques de lecture à son parcours scolaire.

L’enquête de 1967 de l’Insee montre que la pratique de la lecture n’est pas courante : 30% des ménages n’ont pas de livres, 50% des adultes n’en achètent pas, 35% ne lisent pas de livres… Les femmes lisent moins que les hommes, les jeunes (15-24 ans) lisent plus que leurs aînés… Des années 1960 à 1990, on observe un accroissement des pratiques de lectures. A la fin des années 1990, la pratique de lecture est fréquente et le livre devient moins prestigieux, il n’est plus le facteur d’ascension sociale qui lui était prêté jusque là. En revanche, il y a une diminution des forts lecteurs (plus de 25 livres par an) au profit de lectures plus courtes (magazines par exemple).

Dans les années 1980, ces enquêtes font l’objet de critiques. Comme expliqué précédemment, la lecture de livres est comptabilisée au détriment d’autres supports. Par ailleurs, on ne savait pas si les enquêtés surestimaient ou sous-estimaient leurs lectures. Il est également impossible de savoir à quel moment, dans sa vie, on lit ou on ne lit pas. On ne sait pas quelle est la place du livre dans nos relations sociales, dans notre foyer… et cela constitue un ensemble de limites aux enquêtes évoquées ci-dessus. Les solutions préconisées sont de considérer l’ensemble des types de lecture réalisées (livres, bandes dessinées, journaux…) et de les relier à d’autres supports (télévision par exemple). Il est également recommandé de chercher à comprendre la place occupée par la lecture par rapport à d’autres pratiques culturelles ; d’étudier les raisons pour lesquelles on lit ou on ne lit pas ; de comprendre quel sens on accorde à nos lecture : on ne lit pas un roman policier comme on lirait un ouvrage de lettres classiques.

A la fin des années 1980, il apparaît que la baisse de la lecture affecte les 15-24 ans (chute de 16% de forts lecteurs – de 39% à 23% – et chez les 20-24 ans une chute de 12% – de 33% à 21%) : les élèves, les étudiants, les bacheliers et les diplômés moyens). De leur côté, les employés, les cadres moyen et les habitants des villes moyennes lisent moins. Par contre, les personnes de plus de 60 ans lisent plus : en 1988, ils sont plus rares à ne posséder aucun livre, plus nombreux à en compter 200 sur leurs rayonnages (en 1973, 36% des hommes et 41% des femmes de plus de 60 ans ne possédaient aucun livre, en 1988, ils ne sont plus respectivement que 20% et 23%), à fréquenter davantage librairies et bibliothèques, à lire 20 livres et plus par an. C’est la seule tranche d’âge qui voit augmenter, en 15 ans, la proportion de forts lecteurs (20 livres et plus lus par an), alors que dans tous les autres groupes d’âge cette proportion a diminué, et parfois très fortement (cf. les 15-24 ans). Les personnes âgées, qui restent moins tentées que le reste de la population par la lecture de magazines, constituent la clientèle privilégiée des quotidiens régionaux (l’attitude des femmes se rapprochant de celle des hommes en ce domaine). – Les femmes se montrent dans l’ensemble plus fortes lectrices de livres que les hommes. Le rapport homme/femme s’est inversé entre 1973 et 1988 : en 1973, on comptait 28% d’hommes et 32% de femmes non lecteurs de livres et 34% d’hommes et 28% de femmes forts lecteurs. En 1988, on ne compte plus que 24% de femmes non lectrices de livres contre 27% d’hommes et 23% de femmes fortes lectrices contre 22% d’hommes. Ce mouvement se poursuit effectivement comme le révèle la nouvelle enquête Pratiques culturelles des Français de 1997.

En revanche, si la part de gros lecteurs diminue, celle de non-lecteurs diminue et c’est la raison pour laquelle François de Singly (sociologue) écrit : « La France lit plus, les Français lisent moins ». Cela s’explique par une forme de désacralisation du livre mais aussi par l’intégration de l’ensemble des supports de lecture dans les enquêtes.

Pour repère, selon l’INSEE, les personnes interrogées sur leurs pratiques de lecture en 2022 ont répondu de la manière suivante :


Avez-vous lu au moins un livre (y compris livres et audio) sur les 12 derniers mois ? (2022)

Agricult.Artisans, commer., chefs d’entr.CadresProf. inter.
Employé
OuvriersRetraitésEns.
Oui dont : 36.156,582.971,862.436.762.360.5
Dix livres ou plus10.213.729.520,515.05.923.819.4
Non pour raisons éco.0.40.40.10,20.50.50.50.4
Non par manque d’intérêt37.427.,09.118,223.647.126.2025.8
Source : https://www.insee.fr/fr/statistiques/7666877?sommaire=7666953

2 réponses à « L’évolution des pratiques de lecture depuis les années 1960 d’après les enquêtes officielles »

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