Vilfredo Pareto (1848-1923) est ingénieur de formation et a travaillé dans les chemins de fer et dans la métallurgie. Au début des années 1890, il devient économiste et obtient la chaire d’économie politique de l’Ecole de Lausanne en 1893, à la suite de l’économiste néo-classique Léon Walras (1834-1910). En tant qu’économiste, Pareto est essentiellement connu pour la notion « d’optimum » qui porte son nom. Il s’agit de la situation dans laquelle on ne peut améliorer la satisfaction d’un individu sans réduire la satisfaction d’un autre. Par exemple, si je possède un champ et qu’une autoroute est construite à 3km de mon champ, cela arrange les automobilistes et cela m’arrange que cette voie à proximité. Dans ce cas précis, l’optimum de Pareto est atteint. Mais si l’autoroute se rapproche, cela peut peut-être encore plus arranger les automobilistes mais cela me pénalisera pour la pollution.
Pour Pareto, l’économie est la science des actions logiques : il s’agit des actions objectivement adaptées au but poursuivi. Autrement dit, tous ceux qui agissent de manière logiques le font avec stratégie. C’est par exemple le cas des travaux scientifiques qui se donnent un objectif : découvrir un nouveau médicament par exemple, et qui se donnent les moyens d’y parvenir. Un observateur extérieur expert sur le sujet va confirmer ou infirmer la découverte et le but aura été atteint. De même, en économie, on va dresser des lois générales nous permettant de parvenir à nos fins (augmenter le PIB par exemple). Si cette approche est valable en économie, Pareto se rend compte assez rapidement qu’elle ne peut pas expliquer l’ensemble des phénomènes sociaux. Il va donc se tourner vers la sociologie et lui donner une contenance théorique originale différente de celle de Durkheim ou Weber.
Le Traité de sociologie générale paru en 1916 est un ouvrage imposant (1848 pages !), soit plus que les quatre livres classiques de Durkheim réunis (Le Suicide, Les Formes élémentaires de la vie religieuse, De la division du travail social et Les Règles de la méthode sociologique). Dans cet ouvrage, Pareto reprend la distinction entre actions logiques et non logiques. Si les actions logiques relèvent de l’économie, les actions non logiques (et pas illogiques comme il le précise) relèvent de la sociologie.
Pour identifier les actions non logiques, Pareto travaille par induction, écartant toute opinion préconçue et toute idée a priori (paragraphe 145 du Traité de sociologie générale). Les actions non logiques sont le fait d’individus qui cherchent à atteindre un but donné en utilisant des moyens inadaptés (danser pour faire tomber la pluie par exemple). Derrière cette action qui paraît absurde, il y a tout un sens à trouver qui peut, par exemple, se trouver dans la coutume ou dans la tradition. Mais Pareto va plus loin et dresse quatre grands groupes d’actions non logiques en se basant sur la distinction entre objectif et subjectif.
Ce qui est objectif, pour Pareto, représente ce qui relève de la réalité (pour faire avancer un bateau, il faut ramer). Ce qui est subjectif, en revanche, relève de ce qui apparaît à l’esprit de certains hommes (pour faire avancer le bateau, il faut que Poséidon nous permette de voguer et lui faire nos incantations).
A partir de cette dichotomie, Pareto construit une classification d’actions non logiques :
1) Les actions n’ont ni but objectif, ni but subjectif (Hésiode écrit qu’on n’urine pas à l’embouchure d’un fleuve mais il n’y a aucun sens à ne pas se soulager si on en a besoin)
2) Les actions n’ont pas de but objectif mais ont un but subjectif (on consulte un oracle avant d’aller faire quelque chose, scientifiquement cela n’a aucune valeur mais on le fait tout de même)
3) Les actions ont un but objectif mais n’ont pas de but subjectif (On n’urine pas dans une fontaine parce que cela est vecteur de maladies)
4) Les actions ont un but objectif et subjectif (on constate un fait et on cherche à comprendre pourquoi il est tel qu’il est)
Pour analyser les actions non logiques, Pareto a recours à deux concepts qui permettent de scinder les actions non logiques entre elles : il s’agit des résidus et des dérivations.
Les résidus sont les actions fondées sur des croyances précises (faire une danse de la pluie pour faire pleuvoir) tandis que les arguments mobilisés pour justifier l’action non logiques sont les dérivations (j’agis de telle manière parce que je trouve que c’est rationnel).
En réalité, les résidus sont des manifestations d’instincts qui ne sont pas observables. Pareto en distingue six types (l’instinct de combinaison, la persistance des agrégats, l’extériorisation des sentiments, la sociabilité, l’intégrité des individus et de ses dépendances et le résidu sexuel) qu’il subdivise en vingt-six sous classes. Cet aspect pourrait faire l’objet d’une publication à part entière, je ne m’arrête pas dessus ici.
En revanche, l’individu a besoin de donner un « vernis logique » à ses actions : c’est ce que Pareto appelle des dérivations. On parlera par exemple d’idéologie ou de système de justification. Par exemple, j’argumente sur le fait que je fasse telle action parce que il y a une logique derrière. Cela permet de leur donner une forme de cohérence.
Si l’apport de Vilfredo Pareto est un peu tombé dans l’oubli aujourd’hui, il a fait partie des auteurs considérés comme « fondateurs de la sociologie » par Talcott Parsons ou par Raymond Aron.
Sources :
Pareto V. Traité de sociologie générale, (en ligne), 1916
Lallement M., Histoire des idées sociologiques, Tome 1, Paris : A. Colin, 2018



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