- Définition de la sociologie
- Les champs d’étude de la sociologie
- L’objet de la sociologie
- Différences entre la philosophie et la sociologie
- Les méthodes d’enquête en sociologie : comment définir la sociologie qualitative et la sociologie quantitative ?
- La méthode du questionnaire
- L’entretien qualitatif (directif, semi directif, non directif)
- L’analyse documentaire
- L’observation participante et non participante
- Sources
Définition de la sociologie
Dans le discours commun, la sociologie est une sorte de discipline étrange qui traite « de la société ». La sociologie, dans le langage courant toujours, apparaît comme un synonyme d’étude de l’opinion publique. Pour le grand public, elle s’intéresse à des catégories de pensées aussi floues que « les jeunes de banlieue », « les classes moyennes », « les ouvriers »… On a également une image assez floue du « sociologue ». Dans les médias, les sociologues sont globalement absents hormis quelques exceptions. Jean-Claude Kaufmann, par exemple, sociologue spécialiste du couple, intervient parfois pour aborder les sujets liés à ses travaux à une audience étendue. D’autres, comme Pierre Bourdieu, ont délibérément choisi de ne pas intervenir à la télévision en raison des mécanismes qu’elle implique. Il a, par exemple, rédigé un petit livre très instructif et facile d’accès sur ce sujet. Pour en savoir plus, vous pouvez regarder l’entretien qu’il a donné à ce sujet ici. Pour autant, si la sociologie paraît difficile à définir, les sociologues eux-mêmes ne sont pas forcément d’accord entre eux sur le périmètre de la discipline. Raymond Aron, philosophe et sociologue important du XXe siècle écrivait par exemple avec ironie que « les sociologues ne sont d’accord entre eux que sur un point : la difficulté de définir la sociologie » (cité par Boudon, 1990, p. 27). Et pour cause… les écoles théoriques sont multiples et on aura l’occasion d’y revenir sur les prochains articles.
Pour autant, on peut dire avec certitude que la sociologie est une science sociale. Comme d’autres disciplines, elle étudie l’homme en société. On peut la ranger aux côtés de l’anthropologie, de l’ethnologie, voire de l’économie et certains objets peuvent être traités par chacune des disciplines. « Une science sociale se définit par son objet et sa méthode, elle vise à dévoiler le sens, les logiques des comportements sociaux à partir d’une démarche d’enquête donnée ». (Desanti & Cardon, 2010, p.15). Une fois cette première définition posée, on peut définir la sociologie à partir d’une définition assez classique : elle est la science qui étudie la société, son organisation et les comportements des individus et des groupes d’individus la constituant. Autrement dit, la sociologie peut étudier l’ensemble des éléments qui mettent en jeu des logiques sociales : la famille, le travail, le genre/le sexe, la santé etc. mais aussi des objets d’étude plus originaux comme les rêves (comme l’a fait le sociologue Bernard Lahire), Mozart (N. Elias), le quotidien (Schütz) etc.
La sociologie, si l’on s’en tient à la définition la plus classique possible, est la science qui étudie les faits sociaux. Cette approche est celle d’Emile Durkheim (1858-1917), l’un des fondateurs de la discipline. Les faits sociaux, pour ce sociologue, sont « des manières d’agir, de penser et de sentir extérieures à l’individu et qui sont douées d’un pouvoir de coercition en vertu duquel elles s’imposent à lui« .
Pour aller plus loin sur la définition de Durkheim, cf. l’article consacré aux Règles de la méthode sociologique ici.
Cette définition paraît obscure au premier abord mais on peut l’illustrer par un exemple : l’homogamie désigne le fait de choisir son/sa conjoint/e dans un milieu social proche ou identique au sien. Nos rencontres amoureuses, pour un sociologue, ne sont pas le fruit du « coup de foudre », elles répondent à des logiques sociales qui nous dépassent. Statistiquement, on sait par exemple que les personnes issues du milieu agricole vont davantage se mettre en couple avec des personnes issues de ce milieu. Selon une étude de l’Insee parue en 2023, par exemple, les indépendants ont plus de chances de se mettre en couple entre eux que les autres [voir ici]. Le sociologue va donc tenter de comprendre comment l’homogamie fonctionne et interroger ce qui paraît évident. On peut donc présenter quelques éléments relatifs à la démarche du questionnement sociologique.
Les champs d’étude de la sociologie
Nous avons tous une opinion propre sur un « problème social » : les inégalités de genre, l’échec scolaire, le harcèlement de rue… et nous avons en quelque sorte l’impression que ce sont des évidences. Les femmes agissent de telle manière parce que c’est dans leur nature et inversement pour les hommes… Mais lorsque l’on travaille sur ces thèmes sous un angle sociologique, on est amené à « interroger ce qui apparaît comme évident » (Desanti & Cardon, 2010, p.18). Dans les catalogues de jouets pour Noël, vous aviez des jouets pour garçons (jeux de bricolage) et des jouets pour filles (dinettes, tables à repasser…) et il aurait probablement été mal vu, quand vous étiez plus jeunes, de demander un jouet correspondant au sexe opposé. Cela paraît évident si on se cantonne aux discours courants. Mais le sociologue doit déconstruire cette idée reçue et l’analyser comme un objet sociologique. « Construire un objet sociologique, c’est aller derrière les apparences des discours et de la réalité sociale » (Id, p.23). C’est, finalement, aller derrière ce que Durkheim appelle les prénotions.
L’objet de la sociologie
Pour Durkheim, les prénotions sont des a priori que l’on a sur des sujets de la vie courante. Elles sont le produit de l’expérience ordinaire et sont « comme un voile qui s’interpose entre les choses et nous et qui nous les masque d’autant mieux qu’on le croit plus transparent ». Toutes les sciences y sont confrontées (astrologie vs astronomie/alchimie vs chimie) mais en sociologie, il est difficile de s’en distancier puisqu’on a tous un avis sur les choses que l’on étudie. Il faut bien avoir à l’esprit que le monde social n’est pas évident et ne va pas de soi. Le sociologue Erving Goffman l’exprime très bien :
« L’acteur peut être complètement pris par son propre jeu ; il peut être sincèrement convaincu que l’impression de réalité qu’il produit est la réalité même. Lorsque son public partage cette conviction (…), alors, momentanément du moins, seul le sociologue, ou le misanthrope, peut avoir des doutes sur la « réalité » de ce que l’acteur présente. » (Goffman, 1973, p.25).
Prenons un exemple emprunté à Goffman : imaginons que nous sommes invité chez un couple d’amis pour l’apéritif. Nous nous installons dans le salon, ils plaisantent, se taquinent, parlent de leurs projets… Et, à première vue, tout va bien pour eux. Mais le sociologue peut émettre des doutes sur leur comportement : que se passe-t-il dans leur cuisine quand ils vont chercher les plats ? Sont-ils sur le point de divorcer ou se disputent-ils ? Et si, au final, ils ne représentaient qu’une image positive d’eux-mêmes devant nous pour répondre aux conventions qui font que leur couple doit être parfait ? Dans cette perspective, le sociologue va devoir interroger ce qui paraît évident et mener son enquête – ce qui sera l’objet du prochain post -. Le travail sociologique est une mise en énigme des évidences et nous invite à déconstruire nos catégories de pensée.
Différences entre la philosophie et la sociologie
Si le sociologue s’intéresse à la société, on peut en dire autant du philosophe, mais en quoi la démarche du sociologue est-elle différente ? D’ailleurs, d’où vient la sociologie ? On va s’appuyer ici sur les Eléments de sociologie de Henri Mendras (1927-2003), un sociologue majeur des questions relatives à la stratification sociale.
Henri Mendras distingue la philosophie de la sociologie en partant de l’exemple de deux auteurs classiques : Platon et Aristote. Les deux sont philosophes et s’intéressent tous deux au meilleur régime politique possible.
Platon, dans la République, définit un modèle de Cité idéale qui serait gérée par un Philosophe-roi et qui guiderait l’Etat grâce à sa sagesse. Il part donc de suppositions pour construire le modèle de la Cité en faisant dialoguer ses différents personnages à partir d’a priori. Aristote, de son côté, cherche également à caractériser la meilleure Cité possible. A l’inverse de Platon, il étudie les différentes constitutions athéniennes et en dégage les caractéristiques les plus pertinentes pour construire sa Cité. On la retrouve notamment dans les Politiques.
Les deux auteurs cherchent à étudier la même chose à partir de deux démarches complètement opposées : Aristote à une démarche empirique, c’est-à-dire qu’il part de faits concrets pour élaborer sa théorie, tandis que Platon reste dans une approche théorique et spéculative. En ce sens, la démarche d’Aristote est celle du sociologue qui peut également travailler sur des documents et les interroger.
La méthode de Platon a été reprise par différents philosophes (Locke, Hobbes ou Rousseau sur la fiction de l’état de nature par exemple) tandis que celle d’Aristote a été reprise par d’autres comme Montesquieu qui cherche à comprendre les causes de la grandeur et du déclin de l’empire Romain. Comme Aristote, Montesquieu s’appuie sur les textes d’auteurs latins pour démontrer son propos.
Mais si Montesquieu est considéré par Raymond Aron comme l’un des fondateurs de la sociologie dans son livre phare les étapes de la pensée sociologique (1967) et que des auteurs comme Auguste Comte ont créé le terme de Sociologie, il faut plutôt se tourner vers des auteurs comme Tocqueville (1805-1859) ou Marx (1818-1883) pour voir une vraie démarche d’enquête sociologique proche de celle que l’on utilise encore aujourd’hui.
Tocqueville, par exemple, est parti aux Etats-Unis, nouvellement créés, pour y étudier le fonctionnement de la démocratie et prédire l’avenir de la société française. Son livre, De la démocratie en Amérique, fait partie des classiques de la science politique, de l’histoire et de la sociologie. Comme d’autres, il a adopté une démarche empirique pour tenter de tirer des lois générales. De même, Marx et Engels, par leur vie et leur engagement politique ont pu concevoir une pensée originale sur la lutte des classes et la fin du capitalisme. A la différence du philosophe, le sociologue s’appuie donc sur de l’expérience de terrain. Cependant, les auteurs du XIXème apparaissaient comme des « prophètes de la vie sociale » en cherchant à dégager des lois générales. Cet aspect a disparu au XXème siècle puisque les sociologues cherchent à « expliquer » des phénomènes sociaux sans prétendre à ce prophétisme pour reprendre l’expression de Bourdieu, Chamboredon et Passeron dans leur ouvrage Le métier de sociologue.
Les méthodes d’enquête en sociologie : comment définir la sociologie qualitative et la sociologie quantitative ?
Après la définition de la sociologie et quelques éléments de sa démarche, intéressons-nous maintenant, de manière rudimentaire, à ses méthodes d’enquête. L’entretien et l’observation ne sont pas seulement utilisés par les journalistes : les sociologues en ont fait l’un de leurs outils de recherche.
En guise de préliminaire, il faut noter que l’enquête sociologique est ce qui fait de la sociologie une science sociale. Dans le langage courant, l’enquête renvoie à l’investigation journalistique ou à l’enquête policière. Il ne faut d’ailleurs pas confondre enquête sociologique et enquête sociale. La première est une démarche scientifique, la deuxième renvoie à une décision de justice. En sociologie, on ne va pas sur le terrain pour enquêter gratuitement mais pour « dévoiler des logiques sociales » (Desanti & Cardon, p.17). Pourquoi les personnes pauvres ont-elles du mal à arrêter de fumer ? On reviendra sur cet exemple ensuite. Pour réaliser un travail d’enquête rigoureux, le sociologue doit suivre une méthodologie de travail précise. Il ne faut pas s’appuyer uniquement sur une enquête de terrain pour expliquer un phénomène social. Il faut s’appuyer sur des éléments théoriques. A partir de travaux déjà établis sur son sujet de recherche, le sociologue en étudie les limites pour les prolonger. Une théorie « est un instrument intellectuel qui doit servir à comprendre la réalité, à rendre compte d’un ensemble de faits » (Mendras, 2002, p.12). Le sociologue peut (et doit) s’appuyer sur des travaux antérieurs à son sujet de recherche pour construire le sien. Il doit en reprendre des concepts pour les discuter et les retravailler. Un concept est : « une représentation théorique de la réalité ; c’est un outil, un instrument, pour comprendre le monde social » (Desanti & Cardon, 2010, p.24). En parallèle de ce travail théorique et conceptuel, il faut « aller sur le terrain », et pour cela, le sociologue dispose d’une panoplie d’outils. En sociologie, on distingue les méthodes entre méthodes qualitatives et quantitatives. Les méthodes quantitatives produisent des données statistiques pour étudier un objet sociologique. Les méthodes qualitatives quant à elles ne cherchent pas à être représentatives comme peuvent l’être les méthodes quantitatives. Elles s’intéressent à un groupe réduit d’individus et « analysent en profondeur des processus sociaux ainsi qu’au sens que les acteurs attribuent aux situations » (Van Zanten, 2014, p.34). Ces deux méthodes sont complémentaires mais dans le cadre de ce cours, on ne verra qu’une forme particulière de méthodologie qualitative. Mais auparavant, un petit tour d’horizon peut vous donner un aperçu des différents outils existant en sociologie. Je m’appuie ici principalement sur un recueil de présentation d’enquêtes écrit par Henri Mendras et Marco Oberti, Le sociologue et son terrain, trente recherches exemplaires (2000).
La méthode du questionnaire
Les questionnaires des instituts de sondage ont une visée descriptive alors que ceux des sociologues ont pour but d’expliquer des phénomènes (De Singly, 2008). La passation de questionnaires, par le sociologue, doit permettre de répondre à une question de recherche comme nous l’avons vu avec la démarche d’enquête sociologique. Si on reprend l’enquête sur le tabagisme des précaires, l’auteur est reparti de chiffres produits sociologiquement pour expliquer en quoi les campagnes de prévention ont moins d’effet sur les précaires que sur les autres.
Les méthodes qualitatives n’ont pas vocation à être représentatives (statistiquement parlant) d’une population étudiée. Les trois méthodes les plus connues sont l’entretien, l’observation et l’analyse de documents.
L’entretien qualitatif (directif, semi directif, non directif)
L’entretien est une méthode de recherche importante pour celui qui s’intéresse à une population en particulier. Il permet de confronter les points de vue, les expériences, les parcours de vie… Si vous êtes curieux, vous pouvez consulter la Misère du monde (2015), ouvrage publié sous la direction de Pierre Bourdieu qui présente des entretiens bruts. C’est quelque chose de relativement rare en sociologie et c’est un modèle intéressant.
L’analyse documentaire
L’analyse de documents, qu’ils soient historiques, juridiques, statistiques (donc non réalisés par le sociologue) correspondent à une autre méthode qualitative. Elle est utilisée en socio-histoire – branche au croisement de l’histoire et de la sociologie –, en macrosociologie (études de phénomènes sociaux à échelle nationale)… Deux exemples rapides :
Dans son ouvrage intitulé Sur le processus de civilisation, Norbert Elias – auteur allemand du XXème siècle – montre comment des règles de conduite préalablement réservées aux hautes strates de la société se sont diffusées à l’ensemble de la population. Il s’appuie sur des manuels de bonne conduite allant du XIVème siècle au XIXème et les décortique minutieusement. Dans la Civilisation des mœurs (2013), (deuxième partie du Processus de civilisation en français), il explique pourquoi on mange avec des couverts, pourquoi il est mal vu de flatuler en public…
Un autre auteur, Thierry Pillon (Le corps au travail, 2012), montre à partir de livres rédigés par des ouvriers du XXème siècle comment ceux-ci travaillaient et à quelles contraintes physiques ils étaient confrontés. A partir d’un ensemble de textes authentiques, il montre par exemple que les femmes travaillant dans les mines pouvaient être amenées à faire des crises de nerfs, tout comme les hommes, mais dans le premier cas, il y avait une forme de moquerie, dans le deuxième, il y avait un soutien entre mineurs.
L’observation participante et non participante
L’observation est une méthode qui consiste à « observer » des individus dans leur contexte social. « L’enquête ethnographique consiste à décrire et à interpréter la nature des rapports sociaux dans un univers particulier d’interconnaissances » (Desanti & Cardon, 2010, p.113). Elle utilise des méthodes un peu différentes telles que « l’observation directe » (X se met au fond d’une salle de classe pour regarder) et « l’observation participante » (X se fait embaucher comme ouvrier pour observer le travail dans une usine automobile tout en participant à l’activité).
Sources
Desanti R. et Cardon P., Initiation à l’enquête sociologique, ASH Editions, 2010
Mendras H. Eléments de sociologie, 2002
Singly de F. Le questionnaire, Paris, 128, 2008
Van Zanten A. « Ethnographie » in Les 100 mots de la sociologie, Paris, PUF, 2014
Boudon R. La logique du social, Paris : Hachette, 1990
Desanti R. & Cardon P., Initiation à l’enquête sociologique, Editions ASH, 2010
Goffman E., La mise en scène de la vie quotidienne I, Paris : Ed. de Minuit, 1973



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