
La Colère de Junon : Tempête et Naufrage d’Énée près de Carthage
L’appel aux Muses commence par rappeler qu’avant d’arriver à Rome, Enée a dû faire face à de nombreux périls, que ce soit en quittant Troie ou en arrivant à Carthage, et ce, par la faute de Junon.
Muse, rappelle-moi les causes de ces événements, dis-moi pour quelle offense à se divinité, pour quelle injure, la reine des dieux poussa un héros, insigne par sa piété, à courir tant de hasards, à affronter tant d’épreuves.
On apprend alors que Junon préférait Carthage, car c’est dans cette ville qu’elle avait ses armes et son char. Selon une prophétie, une armée troyenne devait venir dans cette ville pour la réduire en poussière. A l’issue de la guerre de Troie, les troyens avaient pris leurs navires pour de nouvelles terres. Mais Junon reprochait aux troyens de s’approcher de Carthage alors qu’elle les avait soutenu lors de la guerre. Pour les empêcher d’arriver, elle fait appel à Eole, le dieu des vents. Celui-ci déclenche une tempête qui met Enée en difficulté mais Neptune vient à sa rescousse et calme la tempête. Enée et son équipage arrivent sur les côtes de Lybie et accostent. Enée chasse des cerfs, ils se nourrissent et pleurent leurs compagnons décédés. Enée prononce alors un discours pour leur remonter le moral :
O compagnons, nous n’avons pas oublié nos anciens malheurs, et vous en avez souffert de plus grands : un dieu mettra aussi un terme à ces misères (…) A travers des hasards variés, à travers tant de périls, nous marchons vers le Latium, où les destins nous montrent de paisibles demeures : c’est là que les dieux nous permettent de relever le royaume de Troie. Soyez patients, et réservez-vous pour des jours favorables
Virgile, L’Enéide, GF Flammarion, 2011, p. 37
Face à cette situation, Jupiter observe ce qui a été fait par Junon et Vénus l’implore d’aider Enée et ses compagnons. Le dieux des dieux rassure Vénus lui assurant de la cité que doit construire Enée verra bien le jour. Il lui annonce ensuite que Rome naîtra :
La prêtresse, fécondée par Mars, mette au monde deux jumeaux. Puis Romulus, tout joyeux de porter la fauve dépouille d’une louve, sa nourrice, recevra le sceptre, et bâtira les remparts de Mavors, et donnera son nom aux Romains .
Virgile, L’Enéide, GF Flammarion, 2011, p. 39
Jupiter révèle le destin de Rome : La prophétie de Romulus
Il annonce ensuite l’histoire de Rome, de Romulus à Jules César. Il envoie ensuite Mercure ménager les carthaginois pour qu’ils réservent un bon accueil à Enée. Ce dernier se réveille et décide de mettre sa flotte à l’abri et d’aller explorer les environs en compagnie d’Achate.
Sur la route, ils croisent Vénus déguisée qui leur raconte l’histoire de la reine de Carthage : Didon.
L’histoire tragique de Didon : La naissance de Carthage
Didon, apprend-il, était l’épouse de Sychée, le plus riche des Phéniciens à Tyr. Mais son frère, Pygmalion, assoiffé d’or, assassina secrètement Sychée devant l’autel. La trahison fut dissimulée, et le tyran maintint la reine Didon dans une vaine espérance.
Cependant, dans un rêve, l’ombre de Sychée apparut à Didon, lui révélant le crime abominable de son frère, lui montrant le flanc percé et l’autel profané. Il l’exhorta à fuir sans délai et lui dévoila un trésor enfoui pour l’aider dans sa fuite.
Obéissant à l’avertissement de son époux défunt, Didon rassembla les compagnons fidèles, ceux qui détestaient la tyrannie de Pygmalion, et s’empara des navires et des trésors. Tous s’enfuirent, portés par les flots. Ils accostèrent sur ces rivages de Libye où ils acquirent, par ruse, un lopin de terre qu’ils purent entourer d’une peau de taureau (byrsa en grec, d’où le nom de la citadelle de Byrsa). C’est ainsi que commença la construction de Carthage, une cité promise à une gloire immense.
A son tour, Enée raconte son histoire depuis la guerre de Troie :
Partis de l’antique Troie (si le nom de Troie par hasard est venu jusqu’à vos oreilles) et errant de mer en mer, la tempête par hasard nus a poussés sur les côtes de Lybie. Je suis le pieux Enée, qui transporte avec moi sur ma flotte les pénates dérobés à l’ennemi. Enée dont le renom est allé jusqu’au haut de l’éther. Je cherche l’Italie, terre de mes pères, qui descendent du grand Jupiter.
Virgile, L’Enéide, GF Flammarion, 2011, p. 41
VVénus, après ce récit, se révèle un instant à son fils dans toute sa beauté divine et, tout en le réconfortant, l’enveloppe lui et Achate d’une épaisse nuée invisible. Elle leur ordonne de se diriger vers la ville.
Ainsi protégés, les deux Troyens s’approchent des murs naissants de Carthage. Énée, émerveillé, observe l’activité fébrile de ce peuple : les uns construisent des murailles, d’autres creusent le port, d’autres encore choisissent des magistrats et des lois. Il compare cette ferveur à celle des abeilles dans un rucher, affairées sous les rayons du soleil. Énée s’exclame, plein d’une jalousie noble : « O fortunés, ceux dont les murs s’élèvent déjà ! »
Pénétrant le bois sacré au centre de la ville, Énée découvre avec stupeur un temple de Junon déjà dressé. Sur les portes du temple, un spectacle saisissant le bouleverse : un artiste a représenté par des fresques toute l’histoire de la guerre de Troie, les malheurs de son peuple, les combats et la gloire des héros. Énée s’arrête, les yeux pleins de larmes, reconnaissant son passé et se disant à Achate.
C’est alors qu’il voit s’avancer la reine Didon elle-même, magnifique, qui se rend au temple pour rendre la justice et imposer des lois à sa jeune cité.
Tandis que le Dardanien Enée regarde ces tableaux qu’il admire, immobile d’étonnement et suspendu dans une muette contemplation, la reine Didon, éclatante de beauté, s’avance vers le temple au milieu d’une nombreuse escorte de jeunes gens. Telle au bord de l’Eurotas ou sur les cimes du Cynthe, Diane conduit des choeurs de danse : mille Oréades s’empressent de partout sur ses pas ; la déesse marche le carquois sur l’épaule, dépasse de la tête toutes ces immortels, et une joie secrète fait palpiter le cœur de Latone. Telle était Didon ; telle, le front joyeux, elle se montrait au milieu de ses sujets, pressant les travaux et l’achèvement de son futur empire.
Virgile, L’Enéide, GF Flammarion, 2011, p. 43
née et Achate, toujours dissimulés dans le nuage protecteur que leur a jeté Vénus, observent la reine Didon au seuil du temple de Junon. La reine, assise sur un trône élevé, reçoit les demandes, établit les lois, et distribue avec équité les charges des travaux.
Soudain, Énée assiste à une scène qui le frappe de stupéfaction et de joie. Il voit s’avancer un groupe d’hommes : ce sont ses compagnons troyens, ceux qu’il croyait perdus à jamais dans la tempête !
Les chefs des vaisseaux perdus, parmi lesquels Illionée, Serseste et Antheus, entrent dans le temple pour supplier la reine de leur accorder asile. Ils racontent les malheurs qu’ils ont subis, la tempête déclenchée par la colère de Junon, et la destruction de leur flotte. Illionée prend la parole, s’adressant à Didon avec respect :
« Ô Reine, à qui Jupiter a donné de fonder une ville nouvelle et d’imposer à des peuples indomptés le frein des lis, entends la prière des malheureux Troyens, que les vents ont ballotés sur toutes les mers : écarte de nos vaisseaux des feux criminels, épargne une nation pieuse, et examine de près notre cas. Nous ne sommes venus ni pour dévaster par le fer les pénates des Libyens, ni pour ravir et embarquer vos richesses ; cette violence n’est point dans notre cœur et tant d’audace sied mal à des vaincus. Il est un pays que les Grecs nomment Hespérie, terre antique, puissante par les armes et par la fécondité du sol : les Oenotriens jadis l’ont habitée, et l’on dit que leurs descendants l’ont appelée Italie, du nom de leur chefs : c’est là que se dirigeait notre course, quand l’orageux Orion, soulevant tout à coup des flots, nous poussa sur des écueils invisibles, et déchaînant les Autans furieux, dispersa notre flotte, vaincu par les éléments marins, au milieu des ondes et des rochers inaccessibles ; peu d’entre nous ont pu à la nage pour gagner vos côtes (…) Nous avions pour roi Enée; nul autre ne fut plus juste, ni plus grand par la pitié ni par la valeur des armes »
Virgile, L’Enéide, GF Flammarion, 2011, p. 44
Émue par ce discours, par le souvenir de ses propres errances et par la renommée de Troie, la reine Didon leur répond avec une douceur majestueuse :
« Bannissez la crainte de votre coeur, Teucères ; calmez votre inquiétude. Un dur état de choses et la nouveauté de mon empire m’obligent à de telles mesures et à garder au loin mes frontières. Maus qui ne connaît le peuple des compagnons d’Enée ? Qui ne connaît la ville de Troie, ses hauts faits, ses héros, et l’incendie qui couronna une si grande guerre ? »
Virgile, L’Enéide, GF Flammarion, 2011, p. 45
À peine la reine a-t-elle prononcé ces mots qu’Énée et Achate sortent brusquement de leur enveloppe de brume, le nuage se dissipant dans l’air pur. Énée apparaît, rayonnant de beauté sous le regard de sa mère Vénus, et salue la reine en ces termes :
« Le voici, celui que tu cherches, le Troyen Enée ,arraché aux ondes de la Lybie. O toi, qui seule as pitié des malheurs indicibles de Troie, toi qui ouvres ta ville et ta demeure aux restes de la fureur des Danaens, (…) il n’est pas en notre pouvoir Didon, de reconnaître dignement tes bienfaits, non plus qu’au pouvoir de ce qui reste de la nation dardanienne, dispersée sur la vaste terre.
Virgile, L’Enéide, GF Flammarion, 2011, p. 45-46
Didon est d’abord stupéfaite, puis folle de joie de découvrir le héros. Elle l’invite immédiatement à son palais royal et ordonne un festin somptueux.
Comment Didon tombe amoureuse d’Enée
Pendant que les préparatifs du banquet vont bon train, Énée, par piété filiale, envoie Achate au navire pour amener son jeune fils, Ascagne (Iule), et les présents sauvés des flammes de Troie.
Mais Vénus, craignant la perfidie de Junon et la double face des Carthaginois, conçoit un plan audacieux pour assurer la sécurité de son fils. Elle enlève le véritable Ascagne et le plonge dans un sommeil profond. À sa place, elle envoie Cupidon, le Dieu de l’Amour, qui prend l’apparence et le visage d’Ascagne.
Le jeune Dieu de l’Amour est chargé d’une mission fatale : effacer Sychée du cœur de Didon et l’enflammer d’une passion dévorante pour Énée.
L’enfant-dieu arrive au festin, et tandis qu’il est assis sur les genoux de la reine, il insuffle son venin divin dans le cœur de Didon. Elle caresse le faux Ascagne, embrasse l’Amour sans le savoir, et voit son âme s’embraser d’un désir funeste pour l’inconnu qui se trouve à ses côtés.
Le festin s’achève tard dans la nuit, et la reine Didon, profondément troublée, demande à Énée de lui raconter l’histoire de la chute de Troie et son long voyage jusqu’à ces rivages.


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